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Site Univers littéraire
15 mai 2022

Au-delà de mon rêve

Souvenirs d'enfance

       

Où étais-je donc ? J’éprouvai d’abord une intense sensation de chaleur, peau poisseuse de canicule, j’avais rejeté couverture et drap et la sueur me coulait du front. Je m’essuyai machinalement avec un bout de drap. Puis mon cerveau se remit péniblement en route. Me revinrent alors quelques bribes de ce mauvais rêve, de ce cauchemar devrais-je dire, qui m’avait brusquement réveillé, le coeur tapant, la tête embrumée.

Parmi les flashs nébuleux qui m’avaient submergé, me revenait une petite maison sans style, à un étage, au crépi gris, séparée de la rue par quelques marches disjointes. La rue aussi, qui décrivait un virage en "S" jusqu’à un passage à niveaux tout proche, me disait quelque chose. Des indices mais rien de probant.

Je me levai pour aller boire un verre d’eau. Ces pensées et les images gravées dans mon esprit m’obsédèrent toute la journée. Je me disais avec une moue têtue : « Si la réalité des faits m’échappe, si je ne puis la saisir, je devrais au moins pouvoir en discerner les ombres. »

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D'autres flashs me revinrent ensuite par intermittence, des images décousues de ma jeunesse sans doute, comme un film endommagé dont il ne reste de visible que quelques séquences. Des images rémanentes se greffaient sur ma rétine pour me renvoyer d’étranges sensations dont je ne comprenais pas le sens.

Peu à peu, je me revis jouant avec une peluche dans un petit jardin puis jouant  sur les genoux d’une jeune femme, je me revis, mais non plus rien… les images diffuses se voilèrent derrière mes paupières fatiguées.

Mais pas d'autres images d’adultes… juste cette jeune femme. Où étaient-ils passés ces êtres que je pressentais sans que je pusse en dresser même une simple épure et pourquoi les avoir occultés ? Je balayais d’un geste ces questions oiseuses nées de mes errements oniriques.

Sans doute, fallait-il beaucoup de temps pour que se dessine au fond de ma conscience ce qui, à un moment ou à un autre, s’était évaporé de la mémoire. Un sentiment de défense sans doute. Même si des traces subsistent quelque part, inaccessibles, enfouies dans les arcanes de mon labyrinthe mémoriel. Il faut bien alors un événement, un traumatisme peut-être, pour les ressusciter.

~~~~~~~~~~~~~~

C’était bien la maison de mes rêves. Un peu plus décatie sans doute, le crépi grignoté par le temps. Sinon, dans ce quartier à l’écart du centre, peu de choses avaient dû changer, même en un demi-siècle.

J’étais parvenu à la localiser grâce au passage à niveaux. Ce quartier, ma mère adoptive m’en avait parlé et je possédais toujours mon certificat de naissance. J’ai donc hanté pendant plusieurs semaines les localités situées le long de la voie ferrée dans le coin où je suis né… et j’ai réussi à retrouver cette fameuse maison.
Mon rêve prenait forme.

Ce fut comme une délivrance. Ainsi ce rêve plongeait bien aux tréfonds de moi-même, je n'avais rien inventé, des liens invisibles s'étaient tissés entre un lointain passé qui me taraudait et le présent. J'avais commencé à nouer un lien avec cette maison sans bien savoir où cette histoire pouvait bien me conduire. J'en ressentis de curieuses sensations, contrastées, ambivalentes.

Assis dans ma voiture devant la maison, j’hésitais. Et maintenant ? Je me résolus à en faire le tour. À l’arrière, j’aperçus un petit jardin à l’abandon avec un appentis en mauvais état. Je doutai alors qu’elle fût toujours habitée. J’étais venu pour rien. Je retournai, sceptique, vers ma voiture quand je vis quelqu’un ouvrir la porte d’entrée et y pénétrer. L’espoir revint. Je décidai d’en rester là pour l’instant comme si une certaine appréhension s'était immiscée dans mon besoin de savoir.

Bien sûr, pendant le trajet de retour, mon esprit n’arrêta pas de se repasser le film des événements, multipliant les hypothèses. Et mes pensées me ramenaient sans cesse à cette maison et à la femme entrevue. Là se logeait la clef de mes rêves, j'en étais certain à présent.

Les cauchemars avaient certes diminué mais des flashs traversaient encore mes nuits, une maison qui tournait, tournait dans ma tête, entraînant dans son sillage des visages comme fracturés en nombreux fragments, tel un tableau cubiste. Les sensations de chaleur subite, d'étouffement même, revinrent me visiter.
Il fallait vraiment que j’y retourne.

~~~~~~~~~~~~~~~

Prenant mon mal en patience, assis dans ma voiture devant la maison, j’attendais. La dame aperçue la fois précédente revint enfin de ses courses en fin de matinée, comme je l’espérais. Sans plus attendre, je décidai de l’aborder.
 
- Bonjour madame. Excusez-moi, ma démarche va vous paraître incongrue mais je suis né dans cette maison et j’aimerais bien renouer avec ce passé.
Elle me jeta le regard sévère de quelqu’un qu’on importune.
- Vous devez certainement avoir quelque chose à me vendre.
- Heu… je vous jure que…
Elle contempla longuement mon air de chien battu.
- Entrez, dit-elle en soupirant.

À l’intérieur, rien ne me rappelle quoi que ce soit. Rien dans la pièce n'accrocha mon regard avide d'indices, si minimes qu'ils fussent. Le salon où elle m’introduisit accusait son âge.
- De toute façon, j'ai un rendez-vous et je dois bientôt repartir. Nous n’avons pas beaucoup de temps, alors, que puis-je faire pour vous ?
- Oh, comment dire…
- On peut toujours faire un rapide tour du propriétaire, bien que je ne sois que locataire.
Je n'osai lui demander qui était le propriétaire. Mais la visite ne donna rien, sauf une espèce d’alcôve que je repérai à l’étage.
- C’est curieux, on dirait une petite chambre d’enfant. Et cette tapisserie marron gaufrée de grosses fleurs, me dit quelque chose.
- Vous savez, personne n’a rien fait dans cette maison depuis très longtemps. Moi, je vous l'ai dit, je ne suis que locataire et ne compte guère m'attarder ici.

J’avais beau fouiner un peu partout, au risque de paraître importun, poser mine de rien quelques questions, rien qui retint mon attention.
- Moi, je n’ai pas connu les locataires précédents, ma mère aurait pu vous en parler mais elle n’est plus de ce monde.
Découragé, je n’eus plus qu’à prendre congé en la remerciant de son accueil.

A peine avais-je franchi le seuil qu’elle me rappela.
- Attendez monsieur, évoquer ma mère m’a rappelé quelque chose : elle avait stocké au grenier des effets personnels de ses prédécesseurs que personne n’a jamais réclamés. Attendez-moi quelques instants, le temps d'aller voir si ce fatras est toujours quelque part là-haut.

Elle fila au grenier et me rapporta une petite malle au cuir pelé.
- Tenez, au moins ça ne m’encombrera plus.
Je la remerciai avec effusions et m’enfuis avec mon trésor.

Arrivé chez moi, j’ouvris avec fébrilité la malle : quelques objets à priori sans intérêt, quelques papiers défraîchis et surtout de vieilles photos en noir et blanc de formats divers. Mais aucun visage qui m’évoquât quoi que ce soit.

Je pris une loupe pour les examiner de plus près. Photos floues, visages anonymes pour moi, frappés au sceau de l'oubli . 
Et soudain, sur l’une des photos, parmi d'autres personnes, je distinguai le petit visage chafouin d’un bambin qui ressemblait à celui de mes rêves, celui du tout petit jouant dans le jardin derrière la maison. Dans mon esprit, le portrait de la femme qui le tenait dans ses bras se confondit peu à peu avec l’image de la femme qui peuplait mes rêves : MA MÈRE !

           

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<<< Ch. Broussas Au-delà de mon rêve . © CJB  ° 15/05/2022   >>>
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