Le sapin de Noël
Marie-Noël et le sapin de Noël
Oh, quel néfaste destin que celui de sapin de Noël ! J’étais pourtant bien avec mes amis dans le vaste espace où on nous avait plantés en rang d’oignon. Mais au moins, on prenait soin de nous, on nous bichonnait pour être toujours beaux et propres à la vente. J’ai grandi ainsi pendant deux ou trois saisons, je ne me souviens plus très bien, sans m’inquiéter bien que je voyais disparaître tant et tant de mes voisins. Toujours à la même époque comme si, à partir de mi décembre, sévissait une terrible épidémie qui décimait nos rangs.
Mais un jour frisquet où le vent me secouait en brassant mes branches, à mon tour, on vint me déraciner puis me replanter dans une espèce de petit pot en plastique. Un vilain pot tout noir, tout riquiqui. Mon espace s’était subitement rétréci et nous nous regardions, quelques rescapés, en nous demandant quel sort funeste on pouvait bien nous réserver.
Je me suis ensuite retrouvé dans un univers inconnu, une maison coquette certes mais où je ne voyais plus la beauté du ciel, le bleu veineux des beaux jours, le gris violent des mauvais jours. Puis j’ai été de nouveau exilé et je me suis senti tout seul, perdu, loin de mes amis. On m’a alors affublé de boules multicolores qui me chatouillaient les aiguilles, de serpentins pailletés qui me grattaient les rameaux. Dans ce pot, mes racines se sentaient comme des pieds à l’étroit dans des chaussures trop petites.
Il me semblait virer anémique, rétrécir, devenir bonzaï.
Je sais, je n’avais guère de chance de survie, mal à l’aise dans ce pot placé près d’un radiateur où j’exsudais mes dernières gouttes de sève. Mais quand même, je sentais encore la vie frissonner dans mes fibres, des aiguilles toujours vertes malgré de lourdes pertes, aiguilles éparses autour de moi, tombées vaincues sur le papier marron constellé d’étoiles qui m’entourait, symboles de ma déchéance prochaine. J’étais condamné à brève échéance si je ne trouvais pas une âme secourable pour me venir en aide.
Chronique d’une mort annoncée. J’étais né pour mourir jeune comme d’autres sont nés pour souffrir et d’autres encore pour être heureux. C’était mon destin mais il doit bien être dans le pouvoir des hommes (et des sapins) de refuser leur destin. En tout cas, c’est ainsi que je m'efforçais de voir les choses.
Ô peuple d’épicéas, es-tu voué à disparaître sans avoir vécu comme ces pauvres bêtes dans la fleur de l’âge qui marchent à l’abattoir ? Heureusement, parmi toutes les étoiles en plastique qu’on m’avait attaché aux branches, se cachait une bonne étoile.
Ma bonne étoile.
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