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Site Univers littéraire
15 janvier 2023

Le sapin de Noël

Marie-Noël et le sapin de Noël

       

Oh, quel néfaste destin que celui de sapin de Noël ! J’étais pourtant bien avec mes amis dans le vaste espace où on nous avait plantés en rang d’oignon. Mais au moins, on prenait soin de nous, on nous bichonnait pour être toujours beaux et propres à la vente. J’ai grandi ainsi pendant deux ou trois saisons, je ne me souviens plus très bien, sans m’inquiéter bien que  je voyais disparaître tant et tant de mes voisins. Toujours à la même époque comme si, à partir de mi décembre, sévissait une terrible épidémie qui décimait nos rangs.  

Mais un jour frisquet où le vent me secouait en brassant mes branches, à mon tour, on vint me déraciner puis me replanter dans une espèce de petit pot en plastique. Un vilain pot tout noir, tout riquiqui. Mon espace s’était subitement rétréci et nous nous regardions, quelques rescapés, en nous demandant quel sort funeste on pouvait bien nous réserver.

Je me suis ensuite retrouvé dans un univers inconnu, une maison coquette certes mais où je ne voyais plus la beauté du ciel, le bleu veineux des beaux jours, le gris violent des mauvais jours. Puis j’ai été de nouveau exilé et je me suis senti tout seul, perdu, loin de mes amis. On m’a alors affublé de boules multicolores qui me chatouillaient les aiguilles, de serpentins pailletés qui me grattaient les rameaux. Dans ce pot, mes racines se sentaient comme des pieds à l’étroit dans des chaussures trop petites.
Il me semblait virer anémique, rétrécir, devenir bonzaï.

Je sais, je n’avais guère de chance de survie, mal à l’aise dans ce pot placé près d’un radiateur où j’exsudais mes dernières gouttes de sève. Mais quand même, je sentais encore la vie frissonner dans mes fibres, des aiguilles toujours vertes malgré de lourdes pertes, aiguilles éparses autour de moi, tombées vaincues sur le papier marron constellé d’étoiles qui m’entourait, symboles de ma déchéance prochaine. J’étais condamné à brève échéance si je ne trouvais pas une âme secourable pour me venir en aide.
Chronique d’une mort annoncée. J’étais né pour mourir jeune comme d’autres sont nés pour souffrir et d’autres encore pour être heureux. C’était mon destin mais il doit bien être dans le pouvoir des hommes (et des sapins) de refuser leur destin. En tout cas, c’est ainsi que je m'efforçais de voir les choses.

Ô peuple d’épicéas, es-tu voué à disparaître sans avoir vécu comme ces pauvres bêtes dans la fleur de l’âge qui marchent à l’abattoir ? Heureusement, parmi toutes les étoiles en plastique qu’on m’avait attaché aux branches, se cachait une bonne étoile.
Ma bonne étoile.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Document utilisé pour la rédaction de l’article~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Elle s’appelait Marie-Noël. Je le sais par sa mère qui l’appelait souvent : « Marie-Noël où es-tu, que fais-tu… Marie-Noël cesse de tripoter les boules du sapin, tu vas faire tomber toutes ses aiguilles. » Elle soupirait et s’asseyait pour jouer avec ses poupées.

- Quelle grâce naturelle tu as Pimprenelle et cette tenue te sied à merveille. Demain, je te mettrai cette longue robe bleue que je t'ai achetée pour les fêtes. Je suis sûre qu'ainsi parée, tu seras à ravir. Pour elle, ses poupées étaient comme vivantes, elle leur parlait comme si elle s'attendait à ce qu'elles lui répondent. J'en étais ému et triste à la fois car j'eusse aimé, ô oui combien aimé, qu'à moi aussi elle adressât la parole.

Elle adorait les habiller au goût du jour et dialoguait à l'infini avec elles. Moi aussi je soupirais, j’aurais tant voulu devenir son ami, qu’elle me demande des nouvelles de ma santé, qu’elle s’inquiète de ces aiguilles qui tombaient plus nombreuses chaque jour, de ma mine déconfite, de mes larmes de résine mais elle préférait ses poupées et se mirer dans la grande glace de la cheminée en prenant des pauses avantageuses, des mines de grandes personnes qui parvenaient même parfois à me faire sourire.

« Marie-Noël, vient m’aider un peu à la cuisine, je ne vais quand même pas tout faire dans cette maison… » Au troisième rappel, elle était bien obligée d’obtempérer. Je me morfondais alors tout seul à côté de la cheminée. Elle ne me voyait même pas derrière mes boules lumineuses et mes décorations, j’aurais voulu qu’elle s'occupe de moi, même juste un petit peu, qu’elle me fasse des compliments sur le lustre de mes aiguilles… ou ce qu’il en restait. J’aurais voulu allonger mes branches comme autant de bras pour l’enlacer, marquer ma présence et lui dire ma détresse. Vous croyez peut-être que je n’ai pas de sentiments, détrompez-vous, comme dit le poète, « qui donc peut dire qu’il n’y a pas de chêne en paradis… » pas même un sapin ?

C’est alors qu’il me vint une idée : convoquer mes dernières forces pour envoyer dans mes branches assez de sève, leur insuffler assez de force pour m’étendre, étirer mes branches jusqu’à elle pour qu’elle puisse respirer ma bonne odeur de résine.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Document utilisé pour la rédaction de l’article~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Marie-Noël se désolait de l’aspect de plus en plus piteux de son beau sapin de Noël. Jusque-là, elle ne s’était jamais posé de questions. Un sapin de Noël est un sapin de Noël, voilà tout. Un objet de décoration pour jour de fête. Il lui inspirait bien un peu de pitié : pensez, un pauvre épicéa voué à une mort prématurée. Un peu comme ces papillons qui ne vivent que quelques heures ou quelques jours.
V
ie éphémère s'il en est.

Mais un matin, Marie-Noël n’en crut pas ses yeux : son sapin de Noël avait poussé pendant la nuit, ses branches comme des tentacules de poulpe enlaçaient à présent sa poupée préférée. Que s'était-il donc passé cette nuit de si miraculeux pour que son sapin se déploie ainsi comme une tige de bambou prise d'une croissance vertigineuse ? Sous sa poussée invincible, quelques boules s'étaient même détachées de ses branches. Elle soupçonna le Père Noël de lui avoir fait une blague.  Lui seul pouvait posséder un tel pouvoir.
- Maman, maman, viens vite voir, le Père Noël a fait un miracle cette nuit !
Évidemment, sa mère se dit que sa fille avait encore été victime de son imagination, qu'elle croyait dur comme fer que son rêve nocturne avait fini par se réaliser. Décidément, il faudrait qu'elle la surveille plus étroitement. Ah, que de soucis d'avoir des enfants !   

Ciel, dès que j'entendis le pas de sa mère, vite je me rétractais et repris mon aspect normal.
- Que me contes-tu là ma pauvre fille. Ce sapin, Dieu m'est témoin, est tout à fait normal. C'est plutôt toi qui as des visions. Tu devrais cesser de lire ces livres qui te vrillent le cerveau.
- Mais maman...
- Et t'avise pas de raconter ça à quiconque, on te prendrait pour une folle !
Et sur ces mots, furieuse, elle lui tourna le dos et fila vers le salon.

Marie-Noël était dépitée et regardait son sapin d'un œil torve.
- Ah, tu m'en fais de belles, toi... Tu peux dire que tu as réussi ton coup. Tu n'es pas la créature du Père Noël mais du Père Fouettard et tu me ferais céans battre par ma mère.

En soupirant, elle s'assit près de moi, nettoya les aiguilles mortes qui jonchaient le sol et m'arrosa en prenant soin d'humecter mes branches et mes aiguilles avec un chiffon doux imbibé d'eau. J'en éprouvai immédiatement un bien-être indicible jusque dans mes racines, un plaisir que je n'avais pas connu depuis des semaines. Sa douce main hydratait mes aiguilles avec précaution, comme une caresse. Puis elle revint avec un petit pulvérisateur et m'aspergea d'un peu d'eau. Quel suave bonheur ! Ah, vous ne pouvez imaginer quelle volupté je ressentis alors, toutes ces petites gouttelettes d'eau qui m'irriguaient et cette parfaite félicité qui m'inondait, que maintenant Marie-Noël s'occupât ainsi de moi.

                
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~Document utilisé pour la rédaction de l’article~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

Pour la première fois depuis longtemps, je passai une nuit sereine et sans cauchemars. Les images qui peuplaient mon sommeil avaient miraculeusement disparu et pour Marie-Noël, il en fut de même. Elle aussi, depuis la dispute avec sa mère, avait connu les affres du cauchemar. Cette nuit, plus de Père Fouettard, plus de visage effrayant au maquillage outrancier, à la longue barbe moitié noire, moitié rousse, vêtu d'un immense manteau noir et de grosses bottes éculées, un capuchon du même noir laissant échapper deux affreuses petites cornes. Quelle vision d'horreur quand elle y repensait !

Dieu merci, tout ceci était à présent révolu. Chaque jour, je reprenais du poil de la bête, je me lustrais les aiguilles, de plus en plus guilleret au point que même sa mère s'aperçut de ma renaissance.
- Seigneur, s'exclama-t-elle en me toisant du fait aux racines, on dirait bien que ton sapin reverdit chaque jour davantage.
- Eh, eh, répliqua la mutine Marie-Noël, ne dit-on pas qu'il faut parler aux fleurs pour qu'elles deviennent encore plus belles. Eh bien, pour les sapins, c'est pareil.
Sa mère n'insista pas... du moment qu'elle en était satisfaite...
Marie-Noël entrait en fredonnant « Mon beau sapin, roi des forêts, que j'aime ta verdure... », à croire qu'elle l'avait apprise par cœur cette chanson, et elle me gratifiait de quelques "pschitt, pschitt" avec le pulvérisateur toujours à portée de sa jolie petite main.

J'avais aussi une pensée pour tous mes malheureux congénères qui n’avaient pas eu ma chance et finiraient dieu sait où, dans une poubelle ou abandonnés sur un trottoir. Et puis, j'étais quand même soucieux pour la suite. Je n'allais pas "prendre racine" dans le salon de Marie-Noël, pousser encore en grimpant dans la cheminée comme le Père Noël

Je voyais mon avenir en noir, finissant abandonné de tous, jeté tout déplumé sans aménité, sans respect à la décharge publique, objet désormais inutile. Mais un soir, peu après le Nouvel an, dans la pénombre du salon, ma bonne étoile vint me visiter pour me souhaiter une bonne année. Elle vit mes branches pendre sans grâce et devina mon trouble.
- Je vois bien que tu es morose, que tu appréhendes l'avenir mais ne craint rien, je vais prendre soin de toi. J'irai dès demain dans le jardin et avec papa on creusera un trou dans un coin, vers le pylône où tu pourras grandir et prospérer à ton aise. Un trou assez grand pour y déployer tes racines et prospérer.

J'irai te voir de temps en temps, l'été je m'étendrai sous ton ombre avec un livre quand il fera bien chaud et l'hiver, pour les fêtes, je t'accrocherai des boules multicolores et des guirlandes lumineuses pour que les enfants du voisinage viennent t'admirer le soir venu.
Ah, quel beau programme se dessinait déjà dans mon esprit, mes amis ! J'en fus si ému que je ne pus lui répondre. Seules quelques larmes de joie coulèrent de ma sève et se figèrent sur ma ramure.

  

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<< Christian Broussas • Sapin de Noël
© CJB  ° 15/01/2023   >>>
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