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Site Univers littéraire
7 avril 2022

Diplo : Quelque part là-haut

Quelque part là-haut
« Ce qui embellit le désert, c'est qu'il cache un puits quelque part. » Saint-Exupéry

              

1- Dans les arcanes de la galaxie
Depuis l’explosion, « le Grand Boom » qui a tout détruit, Diplodocus vole depuis des années, il ne sait plus combien, des centaines, des milliers sans doute, qu’importe finalement, les chiffres ne sont que froideur sans réalité, peu évocateurs, planant dans l’éther, rejoignant parfois des voies lactées qui se dissimulent sitôt qu’il croit les atteindre.  Est-il le seul à s’être recomposé ainsi, après s’être senti propulsé dans les airs par une force irrésistible.

Il vogue ainsi de nuage en nuage, comme à cloche-pied, atterrissant au hasard de ses pérégrinations sur ces masses aqueuses où il peut se reposer tout à son aise. Il  s’en nourrit aussi, trouvant dans leurs cristaux le substrat dont son corps a besoin.

En fait, ici il n’a plus vraiment de besoins. Plus que la peau sur les os. Tout se passe maintenant par capillarité comme si son corps saturé de besoins sur la terre, s’était consumé, avait perdu l’appétit.

Il lui arrivait de naviguer dans des galaxies infinies, sans lumière, où il se laissait porter par des courants inter sidéraux qui l’entraînaient vers des contrées aux contours effrayants, brinquebalé dans des remous,  précipité dans des trous noirs où il perdait tout repère. Le temps ne comptait plus, les années-lumière n’avaient plus grande signification pour lui. Seul l’espace et ses dimensions impensables, toujours repoussées plus loin cet univers intersidéral infini, avait encore une réalité.
La vie dans la galaxie ne s’apparente pas vraiment à un long fleuve tranquille.


Un jour, ou peut-être une nuit, il eut une illumination, des éclairs fuligineux fusèrent, diffusant de longues traînées lactescentes, gigantesques écharpes gazeuses, d’un bleu intense, qui dessinaient des formes qui, semble-t-il, lui évoquaient son passé terrestre. Diplodocus ferma les yeux, se boucha les oreilles, se fit le plus compact possible malgré sa corpulence, se protégea de sa longue queue et attendit. Balloté dans par les forces antagonistes,  il se mit comme en hibernation, toute pensée l’avait quitté, il ne sentait plus son corps.

Comme dans un cyclone gigantesque, des vents violents balayaient l’espace, relayés par des pluies d’atomes fluorescents qui projetaient des lames de grésil glacé et d'énormes quantités de gaz et de poussière diffuses.

Diplodocus subissait ce Déluge en espérant qu’un nouveau Noé viendrait le secourir. C’est tout ce que son esprit engourdi pouvait lui suggérer. Puis tout à coup, les éléments déchaînés se calmèrent, une mer de la tranquillité suivie la furie et la tempête. Puis tout recommença, laissant Diplodocus à son espérance bafouée. « Pourquoi l’avoir préservé si c’était pour le condamner à l’errance éternelle. » Interrogation bien futile face aux fins dernières de l’homme et du monde le destin eschatologique.

Un continent, deux continents… Diplodocus voyait se dessiner des formes qui lui rappelaient une autre vie. Mais non, impossible, son esprit, ses yeux le trahissaient sans aucun doute, comme un mirage dans le désert. Ce n’était que des formes tracées au hasard par des gaz fluorescents créant des images multiformes qui parlaient à son imagination.

Puis l’espace fut bombardé de milliards d’atomes, des billes qui crachaient une curieuse lumière  faite de filaments ocrés, zébrés de fauve, safranés et tirant sur le jaune citron  plus on se rapprochait du centre, constituant comme un soleil monstrueux qui fondait sur lui à une vitesse vertigineuse. Il se réveilla soudain, hypnotique, l’esprit en errance.

Mais quand même, son cœur avait bondi, un court moment, quelques secondes merveilleuses, il crut que la Terre, la Planète bleue, était à portée  d’une théorie d’étoiles, à quelques dizaines d’années-lumière, presque à portée de mains.

En tout cas, dès cet instant, il sut qu’il était revenu dans le système solaire.

             

2- Retour dans le système solaire

« Ah ! Les nuages, ne m’en parlez pas » se lamentait Diplodocus. Il préférait les doux stratus flottant dans des ciels clairs qui lui rappelaient la belle saison sur terre, l’herbe verte qu’il broutait nonchalamment en compagnie de ses amis dans les immenses prairies du jurassique. On y dégustait l’herbe rouge, couleur que ses graines prenaient quand elles étaient bien mûres, le chiendent à-pied-de-poule ou la citronnelle au goût inimitable. Malgré leur haute taille, lui et ses congénères essayaient de se planquer dans les herbes à éléphants qui s’élevaient facilement à plus de 4 mètres de haut.

Il aimait aussi gambader sur les stratus qui s’allongeaient, s’effilochaient en frisures comme des queues de comète. Par contre, il redoutait les menaçants strato-cumulus pleins d’une redoutable pluie diluvienne et surtout les terribles cumulo-nimbus pleins de bruit et de fureur  qui vous terrifiait et vous glaçait les os, même bien abrités sous les grands arbres épineux de la savane. Mais il fallait ce remuement et toute cette pluie pour pendant la saison humide, faire pousser la belle herbe verte dont on se régalait et se muait en paille jaunâtre pendant la saison sèche.

Il s’ébattait alors dans les grandes plaines de la Californie actuelle avec ses congénères, des cousins plus petits et même d'autres sauropodes avec qui ils s’entendaient bien. Il n’y avait guère que les allosaurus dont il fallait se méfier, des prédateurs redoutables qui s’attaquaient surtout aux plus jeunes.

Dans ce monde étranger, Diplodocus souffrait d’une solitude que la nostalgie exacerbait. Jusque-là, il n’avait guère fait de rencontres sur les nuages. Parfois, il se sentait seul au monde, seul survivant de la tragédie qui avait ravagé la terre et cette idée l’effrayait.  Un jour de doute, il se posa sur un beau cumulus tout blanc aux formes opulentes et découvrit avec ravissement une forme colorée qui frissonnait en se dessinant peu à peu sur l’azur : une rose magnifique, une apparition plutôt comme née des doigts magiques d’un grand  pépiniériste.  Une rose pulpeuse, soyeuse, unique, d’un rouge grenat soutenu, à la tige hérissée de toutes petites épines, toutes mignonnes.
Il en tomba immédiatement amoureux. Coup de foudre.

Diplodocus la contemplait, figé, idiot, sans réactions, n’osant prononcer le moindre mot qu’il pourrait regretter, regrettant déjà de ne rien dire. Rose faisait la belle, profitant de la situation, plaisantant sur son embonpoint, à son grand chagrin, le reprenant chaque fois qu’il osait la moindre remarque. Bref, elle se comportait en terrain conquis et traitait mal ce pauvre Diplodocus. Il aurait voulu se frotter à ses épines, se blesser pour lui prouver son amour.

Rose
en profitait pour le plaisanter : « Moi qui fus élue miss Rose, tu me vois trônant entre tes grosses pattes. À cette pensée, elle en riait, se moquant effrontément de lui. Il vécut alors l’un des moments les plus difficiles de son existence extra terrestre.

Mais l’idylle ne dura pas. La Rose, fruit d’une greffe osée, si belle, si fière sur sa frêle tige, s’étiola subitement, tête basse, teinte passée et malgré les soins attentifs de Diplodocus, ne survécut guère à cette évolution.  Pendant plusieurs mois, il erra de nuage en nuage, portant son malheur comme une plaie ouverte, un fardeau inhumain.  Mais le sort parfois est mansuétude et sa blessure finit peu à peu par se refermer.

Rose avait présenté à Diplo son voisin Naja, un petit animal chafouin qui rampait devant elle, auquel elle aimait envoyer des piques mais qui n’en avait cure, la complimentait et faisait ses quatre volontés. Diplo lui aurait bien envoyé un petit coup de queue de son fort appendice mais se retenait, de peur d’indisposer la reine des fleurs. Rose était aux anges, pour un temps, se prenait pour le centre du monde sous ses regards langoureux et ses propos mielleux.

« Ah, je sais, me dit-elle en aparté, il est amoureux de moi, il n’en dit rien mais je le devine et on s’amuse bien à jouer au chat et à la souris. » Puis dans un murmure : « Méfie-toi quand même de lui Diplo, je le crois capable d’une grande duplicité. Il peut très bien faire sa cour et persifler derrière ton dos. » Puis elle haussa les épaules et passa à autre chose. Une fine mouche inconstante.

Quand un grand fracas sidéral l’apeurait ou que la tristesse la gagnait, Rose se réfugiait dans les pattes de son autre voisin Toby, aussi timide que gentil. Un véritable ami qui prenait soin d’elle et la cajolait doucement, plein de patience, apaisant son cœur. Avec son regard bienveillant et ses grandes oreilles, il la faisait craquer et elle oubliait ses tourments, au grand dam de Naja, jaloux de leur complicité et qui vouait à Toby une haine tenace. Ce qui bien sûr excitait follement Rose.

Comme Diplo critiquait son attitude vis-à-vis de Toby, Naja lui avait répondu : « Il faut respecter ses instincts : quand on est fait pour aimer, on aime, quand on est fait pour combattre, on s’oppose... Il faut bien s’en accommoder. On est comme on est, c’est tout. »

N’empêche : Diplo aurait bien voulu avoir un ami fidèle comme Toby. Un ami complice qui le comprenne. Malheureusement, il semblait destiné à errer ainsi indéfiniment parmi les galaxies.

                             

Aspect négatif                            Aspect positif                     Aspect ambivalent

3- Divine rencontre

Ce fut un jour apparemment comme un autre. Pourtant Diplodocus se sentait très en forme, levé très tôt, il ne s’était jamais senti aussi bien depuis très longtemps. Aujourd’hui, aucun problème avec ses nombreuses vertèbres qui souvent le faisaient souffrir du dos. Ah, quelle agréable sensation qu’un corps qui réponde si facilement à ses sollicitations !

Soudain, il aperçut, se détachant d’une forme vaporeuse, la silhouette d’une charmante jeune fille vêtue d’une belle tunique rose piquetée d’étoiles multicolores. Il en resta bouche bée, se demandant s’il n’était pas victime de l’une de ces illusions d’optique qui le saisissait parfois et le laissait le cœur gros d’un espoir déçu.
Cette fois, pas de doute, il n’avait la berlue, l’image rémanente de la belle jeune fille se fixa durablement sur sa rétine. Hésitant, il résolut de lui adresser la parole. Il verrait bien. 
 
- Oh, Qui es-tu donc belle Princesse ?
- Ah, tu connais mon nom ? Eh bien justement je m’appelle Princesse.
- Un nom qui te va à ravir, si je peux me permettre.

Diplodocus se sentait si heureux de pouvoir échanger, discuter avec un autre humain. Mais Princesse lui semblait plus suspicieuse. Il lui faudrait éviter de l’effaroucher, l’apprivoiser peu à peu.
- Et toi, qui es-tu donc pour atterrir sur mon nuage sans y avoir été invité.

- Oh, Je viens de très loin, quelque part du fond des temps, si lointain que je ne me souviens plus très bien. Je viens d’une lointaine Planète Bleue dont j’ai été expulsé. On m’appelle Diplodocus.
- Diplodocus dis-tu. Ce n’est pas un nom ça. Non, je vais simplement t’appeler Diplo. C’est la mode chez nous, quand un nom est trop long, on le coupe. Ce qu’on appelle une apocope.
- Tu en connais des choses !
- Que crois-tu, avant de me morfondre sue cette petite planète, j’ai fait des études.
- Ah, ce que tu es belle Princesse dans ta robe si seyante !
- Tu es bien obséquieux Diplo. Après mon intelligence, tu vantes ma beauté à présent.
- Mais que tu es donc méfiante !
- Toi par contre, je te trouve curieux avec ta petite tête plate et ton si long cou. Et tes formes rebondies.
- Tu n’aimes que je sois si différent de toi.
- En tout cas, tu devrais sans tarder te mettre au régime. La mode n’est plus au gros costaud, sais-tu. Jamais je n’avais encore vu une créature dans ton genre. Vous êtes tous pareils sur ta Planète Bleue ?
- Non bien sûr. Il y a des grands, des gros, des petits, des maigres, toute une variété d’enveloppes charnelles, de couleurs différentes qui éprouvent malgré tout les mêmes peines et les mêmes espoirs.
- Mais toi, que t’est-il arrivé ?
- Ah Princesse, je n’ai guère compris moi-même comment avait basculé mon destin. Je me suis transformé,  j’ai disparu depuis si longtemps tout en gardant mon apparence d’antan.

- C’est un peu comme moi, alors !
- Et toi belle Princesse,que fais-tu là ?
- Que veux-tu que je fasse ici. Alors, je me fais belle, je me déguise, j’adore ça.
- J’espère que tu ne te prends pas pour une rose, la reine des fleurs.
- Pourquoi, tu n’aimes pas les roses ? Ah, ah, rassure-toi, je goûte peu ce genre de fleurs, je trouve que leur réputation est très surfaite et puis, en général, elles ne se prennent pas pour n’importe qui.
- Avec tous tes déguisements, n’as-tu pas l’impression de travestir la réalité, TA vérité ?
- La, la, la, voilà bien un docte ton de vieux professeur. Tu devais être un drôle d’intello dans ta vie antérieure.
- En tout cas, très vieux, tu as raison. Je viens du fond des âges et toi tu es bien jeune, pleine de vie et d’espoirs je suppose.
- Ma réalité dis-tu. En fait, je n’ai jamais pensé à ce genre de chose.
- Moi qui passe pour être le gros, le bouffi à la petite tête de linotte,  un pois chiche dans son crâne, je ne me pique guère d’apparence. Je suis ainsi, tel que tu me vois. C’est ma nature.
- Ne serais-tu pas un peu philosophe mon cher Diplo ?
- Oh Princesse, je sais seulement que « les yeux nous trompent et que seul le cœur voit l'essentiel. »
- Quelle belle pensée ! Mais j’ai comme l’intuition que ce n’est pas de toi.

Princesse se moquait gentiment de lui mais il n’en avait cure et goûtait chaque minute de leur rencontre.
- Dans la vie, il faut vite en profiter, une occasion perdue l’est pour toujours mon cher Diplo, il ne faut jamais l’oublier. C’est ma seule philosophie.
- Et toi, tu passes ton temps à t’amuser si je comprends bien.
- Effectivement, je m’amuse beaucoup sur mon petit nuage rose et je vais aussi jouer avec mon jeune frère qui s’appelle Antoine.

- Ah cachottière, en fait tu n’es pas seule ici sur ton île minuscule !
- Si, Antoine vit sur le nuage d’à côté, que tu peux d’ailleurs apercevoir. Ainsi, on reste autonomes tout en étant très proches.
À ce moment, une nappe de gaze fusa, esquissant insensiblement une forme floue qui se mua en une silhouette humaine : un jeune garçon.

             
 Milieu interstellaire                                     Galaxie et nébuleuse

4- Une nouvelle rencontre -

Lui qui n’avait vu presque personne pendant des années, sentit instinctivement une nouvelle présence.
Décidément, il y avait du monde sur ces petits nuages, insignifiants à première vue. En quelques bons, il franchit la distance qui le séparait du jeune garçon.

- Bonjour, dit-il d’une voix timide, ne sachant que lui dire… Ainsi, tu vis ici depuis longtemps ?

Antoine lui lança un regard interrogateur.
- Je ne sais pas. Peut-être que ma sœur en a une petite idée ? 
- Es-tu au moins heureux ici, t’amuses-tu autant que ta sœur ?

Antoine
le fixa un long moment et lui dit brusquement :

- Dessine-moi un avion, s’il te plaît.
- Un avion ? Mon Dieu, quelle idée, je ne sais pas du tout dessiner. Ça ne s’improvise pas.
- Oui, un avion pour m’évader, être un oiseau, me laisser porter par le vide interstellaire.

- Compte tenu de ma corpulence, s’amusa Dipo,  je rêverais de devenir un "plus léger que l’air", de me transformer en un bel oiseau aux plumes translucides et aux grandes ailes d’albatros. Mais la condition humaine est chose contingente !
- Alors, tu ne veux pas me dessiner un avion, un superbe jet fuselé pour traverser les galaxies. Dis Diplo, fais un effort.

- Je pourrais par exemple te dessiner un nuage. Qu’en penses-tu ?
- Ah non, j’en vois assez des nuages. De toutes sortes, de toutes les couleurs, de toutes les formes… s’il te plaît Diplo.
- C’est pourtant beau un nuage (et c’est facile à dessiner rumina-t-il ), on y trouve quand on regarde bien, pleins de formes évocatrices. L’imagination peut vagabonder à son aise, naviguer dans un entre-deux entre rêve et réalité, se transformer en une planète qui ressemble à l’Éden de la Bible.
- Et il existe vraiment ton Éden ?
- Quand on possède la foi, on y croit.
- Avec un avion, c’est plus facile de voyager… 
- Je vois que tu n’es pas très réceptif à ma proposition.

Antoine regardait maintenant ailleurs, déçu sans doute.
- Moi, je préfère les avions, dit-il avec un air buté.
- Regarde, regarde ces nuages. Ils peuvent crever et disparaître d’un instant à l’autre mais ils ont tout de même leur propre réalité. N’est pas merveilleux ?

- Ils ne me font pas rêver.
- Ils sont pourtant si différents les uns des autres. Leurs différences sont infinies, couvrent tout le champ des possibles, des discrets cirrus fibreux si mignons qui s’étirent haut dans le ciel pur aux plus menaçants qui charrient foudres et tornades et crucifient les cieux.
- Ceux-là me font peur et à ma sœur aussi. On se blottit l’un contre l’autre en attendant la fin des bombardements de neutrons qui accompagnent ce phénomène.
- Il en est ainsi, Antoine. Les humains ne peuvent guère agir sur la Nature. Ils ont déjà bien du mal à juguler leur propre nature et à se supporter les uns les autres.
- Je ne connais pas les humains mais ce que tu me dis n’est pas très rassurant.
- Alors regarde les nuages, celui-là par exemple, tout blanc avec ses grosses joues, il est plutôt mignon, non ?

Antoine haussa les épaules, peu convaincu.
- Et celui-là, si menu avec sa longue traîne !
- Ouais, fit le petit prince avec une petite moue.
-Toi au moins, tu dis ce que tu penses. Quand ça ne te va pas, on s’en aperçoit tout de suite. Et là, ta moue boudeuse est très significative.
- Oh, excuse-moi, cher Diplo, je ne voulais pas te froisser.
- Que tu as raison cher Antoine, il est inutile d’humilier autrui… mais il faut aussi dire ce qui est. En choisissant ses mots.
- Oh, c’est marrant, regarde-les à l’envers, c’est curieux. Tu ne trouve pas qu’ils sont mieux ? Penche-toi, penche-toi davantage.
- Avec mon cou de girafe, c’est difficile… et plutôt douloureux. Humm, sûr, avec le changement d’angle, on a une tout autre vision.


St-Exupéry & Le Petit Prince

5- Dessine-moi le monde de demain

Alors, d’une façon malhabile parce qu’il ne se souvenait plus très bien, Diplo prit une feuille de papier, la plia et la replia plusieurs fois pour réaliser un avion en papier et le lança à Antoine. Le petit garçon n’en revenait pas.

- Ô oui, ô oui, s’écria-t-il en battant des mains, encore, encore, Diplo !
Alors, Diplo prit une autre feuille, puis une autre feuille… toute la rame y passa.
À chaque nouvel avion, Antoine le lançait dans l’espace et il se mettait à planer, à planer… porté par les courants. Princesse, curieuse comme personne, avait pointé son nez hors de son nuage et devant le spectacle qui s’offrait à ses yeux, applaudissait à tout rompre.

Des dizaines et des dizaines de petits avions en papier s’éparpillaient maintenant dans un ciel d’un bleu marine intense dessinant des kyrielles d’étoiles dans le ciel, planant ici et là, revenant, virevoltant, libres comme l’air. Les yeux des enfants brillaient, papillonnaient, fascinés par ce spectacle féérique. Jamais une galaxie n’avait assisté à pareil événement.

Pris au jeu, Diplo fabriqua des avions-fusées puis des fusées de plus en plus grosses jusqu’à ce que la dernière, sitôt lancée dans les nues, bifurque subitement et revienne foncer sur Diplo. On l’aurait cru mue par une force implacable qui contrôlait sa trajectoire. Elle le souleva, ce qui dans le vide spatial n’était pas un exploit, et l’entraîna dans son sillage. Diplo, par un réflexe instantané, saisit Antoine par une main et l’entraîna à son tour. L’enfant n’eut que le temps de s’agripper au long cou de Diplo et tous deux dérivèrent dans l’espace intersidéral, emportés au gré des courants.

Soudain,  au bout d’un temps qui leur parut interminable, dans des bruits épouvantables de grincement, de chuintement, dans des jets de vapeurs et de fumées, ils se mirent à tourner comme dans une valse. Antoine s’amusait beaucoup, il avait l’impression d’être sur un manège mais Diplo commençait à avoir mal au cœur.
Pour s’extraire de cette attraction, l’idée lui vint de s’accrocher à un beau nuage tout blanc qui passait par là. Et le miracle se produisit : le nuage agit comme un parachute, ils agrippèrent d’autres nuages et le parachute grossit, grossit, la planète bleue se dessina alors et ils durent se rendre à l’évidence, ils étaient revenus sur terre.

L’atterrissage se précisa quand ils virent apparaître un immense désert où s’agitaient des tourbillons de sable.
- Mon Dieu, gémit Antoine, on va arriver en plein désert !
Mais non, les vents orientèrent leur parachute sur l’Europe, puis sur la France et… incroyable, ils atterrirent exactement à Lyon sur la place Bellecour au pied du monument dédié à Saint-Exupéry et à son Petit Prince, presque en face de la maison où est né l’aviateur.

Ce fut un moment particulier, d’une intensité émotionnelle si forte que chacun versa des larmes de bonheur. Mais brusquement, les nuages de l’énorme parachute éclatèrent, sans doute sous l’effet de la chaleur, entraînant Diplo comme une baudruche dans la stratosphère, avec Antoine qui priait pour pouvoir retrouver sa sœur.

Seule une feuille de papier s'échappa et voleta jusqu'au sol, atterrissant au pied de la statue de la place Bellecour. D’une écriture malhabile était tracé ce poème :

"Une étoile luisait et je la contemplais",
Astre lointain dans un azur qui s’éclairait,
Mais malgré tout, l’œil peine à discerner l’accord,
Il est vrai que "l’on ne voit bien qu’avec le cœur",
Il faut savoir s’extraire, contempler les cieux,
Car "l’essentiel est invisible pour les yeux."
Mon cher Diplodocus, prends ma petite main,
Viens, et dessine-moi le monde de demain.

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<<< Ch. Broussas Quelque part là-haut . © CJB  ° 30/03/2022   >>>
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