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Outre les romans pour lesquels il est surtout connu, l'écrivain Bernard Clavel a publié de nombreux textes, des récits sous forme d'albums ou de nouvelles, des essais qui éclairent les thèmes qu'il a abordés dans ses romans. Certains de ces écrits ont une importance toute particulière dans le cheminement de sa carrière et son évolution personnelle.Les récits et les nouvelles
Les nouvelles les plus importantes sont les deux histoires qui se passent au Canada -font partie des "œuvres canadiennes"- La Bourelle et L'iroquoise, Tiennot ou L'île aux Biard ainsi que le recueil qu'il publia en 1966 sous le titre repris de la première nouvelle L'espion aux yeux verts.
Plusieurs textes expliquent largement sa recherche dans ce qu'il a lui-même appelé sa géographie sentimentale qui s'enracine d'abord dans les pays du Rhône et la Franche-Comté : - Le Rhône ou les métamorphoses d’un Dieu, repris plus tard sous le titre Je te cherche vieux Rhône. (14 de ses romans se passent en partie ou en totalité dans les pays du Rhône) - Terres de mémoire -sous titré Jura- où avec deux autres écrivains Georges Renoy, et Jean-Marie Curien, il évoque sa région natale et en particulier le département du Jura.
Il a aussi écrit une de nombreux textes sur ses terres de prédilection, essentiellement Lyon et sa région [1]ainsi que quelques textes sur le Jura [2]. Ceci explique le fait que l'action de la quasi totalité de ses romans se situe dans ces deux régions auxquelles il faut ajouter le Québec où il a résidé avec celle qui allait devenir sa seconde femme, Josette Pratte.
Les essais
Deux d'entre eux sont particulièrement intéressants dans son évolution : Lettre à un képi blanc, dénonciation de la violence et de la guerre, 'mise au point' après la diffusion de son roman Le Silence des armes. Le massacre des innocents qui fait suite à sa rencontre avec le responsable de l'association Terre des hommes et le mènera à un engagement personnel de plus en plus important pour défendre tous les enfants du monde, d'abord ceux que la guerre menace puis tous les enfants victimes de sévices, de famines, menacés d'extermination.
Il va agir aussi pour diffuser ses idées, à travers des articles, des préfaces pour des livres contre la peine de mort [3], défendant les enfants en danger, agissant particulièrement pour le Bangladesh [4], réaffirmant avec force son pacifisme, luttant pour l'objection de conscience avec son ami Louis Lecoin [5] et ses positions non-violentes avec le mouvement associatif Non-Violence XXI.
Dans les années deux mille, il revient largement sur son engagement en faveur de la paix, militant et toujours écrivains quand il publie des textes d'appel à la paix comme Paroles de paix, en 2003 sur des illustrations de Michele Ferri ou Le chien du brigadier en 2005. Après avoir abordé la question dans la présentation de son roman Les Grands Malheurs, Bernard Clavel dans son dernier texte écrit en 2005 La peur et la honte publié avec J'avais six ans à Hiroshima. Le 6 août 1945, 8h15 de l'écrivain japonais Nakazawa Keiji, lance un vibrant réquisitoire contre l'arme atomique.
L'espion aux yeux verts
Ce recueil contient neuf nouvelles qui sont les suivantes : L'espion aux yeux verts, Le père Vincendon, Légion, Le jardin de Parsifal, Le fouet, la barque, L’homme au manteau de cuir, Le soldat Ramillot et Le père Minangois. Il nous offre des instantanés de vie, mélange de drames, de fraternité, de perfidité et de fragilité.
Voilà ce qu'à écrit Bernard Clavel au sujet de la nouvelle, ce genre parfois décrié : « Nous portons tous en nous un lot de souvenirs, de sujets, de personnages, qui n'ont leur place dans aucun roman. Pour cette partie cependant précieuse de notre bagage sentimental, la nouvelle est un beau refuge. Plus fréquemment que le roman, elle est une œuvre jaillie du plus secret de l'écrivain et écrite sous la poussée d'une envie à laquelle il ne saurait résister. D'où, souvent, sa surprenante richesse. »
C'est la nouvelle qui lui a permis de faire ses premières armes en littérature mais il reconnaît volontiers que c'est un genre difficile « où toute tentation de tricherie compromet définitivement les chances de réussite. » Pour lui, un bon nouvelliste se rapproche des conteurs d'autrefois, ceux qui à partir d'une petite anecdote, étaient capables comme sa mère savait si bien le faire [6] de bâtir une histoire juste pour le plaisir de raconter, d'apporter un peu de joie à la veillée autour d'un bon feu. « Essayer de s'approcher d'eux, dit-il, est sans doute très ambitieux, mais c'est une grande tentation. »
Le fameux espion aux yeux vers
L'espion aux yeux verts raconte un instant de vie intimiste. Félicien, un veuf parano, passe ses journées à se lamenter auprès de son chat. Mais il se peut aussi que le félin complote lui aussi contre lui, qu'il soit de mèche avec tous ceux qui l'observent, qui l'épient. Aussi sa méfiance augmente-t-elle envers son chat et il le regarde d'un autre œil. Pauvre homme bien malheureux de voir le mal partout. Il la dédie à son fils Yves, « véritable père de cet espion. »
Le père Vincendon est un ami de son père et aussi un voisin qui n'habite pas très loin de chez eux. Ils se rendent visite, discutent entre hommes qui ont des souvenirs communs, qui ont l'enfer de la guerre des tranchées pendant la première guerre mondiale. Ils s'étaient perdu de vue, quinze années sans se revoir, c'est long. Et puis, cet ami est infiniment précieux, il éprouve une passion pour le bois et le travaille avec application, avec tout son savoir-faire. Bernard Clavel a conservé de Vincendon ce précieux héritage : son bureau, son coffre aussi et sa boîte de peinture. « Elle avait été faite avec amour, comme tout ce que faisait Vincendon. »
Dans Légion, on assiste à l'arrivée d'un légionnaire dans un petit village, ce qui n'est pas chose anodine. L'homme tient à se faire adopter, se fait des amis, est d'une serviabilité exemplaire... mais il a un défaut, un défaut qui peut paraître véniel mais qui devient un handicap dans un petit village, il est beaucoup trop curieux et sa curiosité le perdra. Pourquoi diable ce village finit-il en cul-de-sac, ne débouche-t-il pas quelque part ? Répondre à cette question, c'est soulever un voile qu'il n'est jamais bon de soulever.
Cette nouvelle, Bernard Clavel l'a dédiée à son ami l'écrivain Pierre Mac Orlan. Elle a fait l'objet en 1971 d'une adaptation télévisée tournée à Lons-le-Saunier et dans un village voisin Courbette, mise en scène par Jean Prat et Philippe Joulia avec Pierre Trabaud, René Lefèvre et Béatrice Audry dans les rôles principaux.
Le jardin de Parsifal raconte la triste histoire d'une espèce de Landru, d'un homme qui devient un meurtrier mais heureusement la morale sera sauve car son amour des chiens causera sa perte. Parsifal le chien, mourra pour défendre son maître qui n'aura plus que son petit teckel. Les chiens, des animaux que Bernard Clavel aimait tout particulièrement, qui sons très présent dans son œuvre.
Cette nouvelle est la seule du recueil à être datée : Lyon, 17 avril 1962
Dans cette courte nouvelle, Le fouet, un homme Paul Nanerwicz reconnaît, pendant un spectacle de cirque, herr Peitschenmann, un terrible bourreau nazi qui s'est reconverti comme artiste, un homme qui maniait trop bien le fouet pendant la guerre.
Les artisans chers à Clavel : cordonnier dans son échoppe
Dans La barque, des hommes affrontent une crue : un homme portant un manteau de cuir, un poste de guet accueille un homme complètement trempé par un terrible orage, malgré la rigueur du règlement qui interdit de laisser entrer un civil dans un poste de garde.
Cette nouvelle rappelle son roman Pirates du Rhône, le crue du fleuve quand les riverains s'entraident pour monter dans l'urgence les meubles au premier étage des maisons.
Le soldat Ramillot rappelle un épisode de L'Espagnol quand ce dernier, Pablo, a une aventure amoureuse avec sa patronne. Un soldat se présente auprès d'une paysanne pour des travaux agricoles. Ils passent une soirée de plénitude et de plaisirs mais dès le lendemain, toujours pour les mêmes raisons de rigueur d'un règlement appliqué à la lettre, le soldat est porté déserteur. C'est le lendemain qu'Angèle apprendra que le soldat s'est noyé dans la Seille après avoir été mordu par une vipère.
Cette nouvelle, Bernard Clavel l'a dédiée à son ami Jacques Peuchmaurd qui l'a beaucoup aidé lors de ses débuts difficiles.
Le père Minangois était un vieux cordonnier que le narrateur a bien bien -comme le père Vincendon, le luthier- et dont il se souvient avec une grande nostalgie. « Et pour moi, se confie Clavel, il reste l'image d'un grand vieillard bougon, sec et dur comme le vent d'hiver, mais qui avait, dans sa façon de vous regarder ou de vous empoigner la main, une de ces choses mystérieuses et précieuses, qui font partie de ce qu'un homme conserve éternellement parmi les trésors de son enfance. » C'est cette parcelle de trésor préservée que Clavel voudrait nous faire partager.
« Il paraît qu'il est mort alors qu'on s'apprêtait à fêter son centenaire en même temps que la libération du pays. »
Les nouvelles canadiennes
L'iroquoise
Karl, un marin, vient de débarquer dans le port de Boston. Dans le bar où il se rend, une bagarre éclate et, sur un coup de poing malheureux, il tue un homme qui de plus s'avère être un policier. « Pauvre de toi, tu as tué un flic » lui lance-t-on. C'était un sale flic, combinard et corrompu, et les gens sont bien aise d'en être débarrassés, « T'as fait une sacrée bonne action, matelot, tu nous as débarrassé d'une belle ordure. Certain que personne va le pleurer, celui-là. » Mais il est obligé de fuir la ville pour se réfugier dans le grand nord.
Au cours de sa fuite, il rencontre une jeune iroquoise Aldina avec laquelle il se marie. Elle, qui n'a connu que les grandes étendues glacées, rêve de la ville, « quand nous irons dans ton pays, tu me montreras ce que tu sais de la ville. [...] La ville elle en rêvait nuit et jour... des villes immenses, des lumières, des cinémas. » Mais Aldina ne connaîtra jamais la ville, le jour de leur départ pour Toronto, elle fait une chute mortelle de cheval. Tout est consommé sur cette fin dramatique en forme de morale qui signifie qu'à la ville, le bonheur est impossible.
Ce constat négatif sur la ville et ses effets pervers, Clavel le développe aussi dans un des tomes de Le Royaume du Nord, Amarok qui débute par une intrigue identique : Lors d'une bagarre dans un bar, Timax frappe un policier ivre dont la tête heurte un coin de table et qui décède, obligeant Timax et son oncle Raoul à fuir aussi vers le grand nord. On retrouve ce thème dans d'autres romans de Clavel, dans Le Tonnerre de Dieu quand Brassac fait ses virées dans des boîtes de Lyon et qu'il rentre ivre, ou dans Le Voyage du père où la grande ville transforme Marie-Louise en prostituée.
Le thème de l'injustice revient souvent chez Clavel par exemple dans Les Colonnes du ciel quand toute une communauté s'enfuit jusqu'en Suisse, poursuivie par la guerre et les armées du roi de France, dans Brutus quand le groupe de gaulois chrétiens est contraint de fuir la colère des Romains, dans Maudits sauvages aussi, le dernier tome de Le Royaume du Nord où les avocats des indiens spoliés ne pourront rien contre l'administration ainsi que dans Cargo pour l'enfer où l'armateur-escroc agit en toute impunité. [7]
Cette nouvelle indique Clavel a été commencé à Saint-Télesphore le5 juin 1978 et terminée à Westmount le 27 septembre 1978.
La bourrelle
« C'était dans la ville de Québec, en l'an mille sept cent et quelque... » ainsi commence cette nouvelle écrite en 1980, au moment où paraît le dernier tome des Colonnes du ciel. Ce livre s'appuie sur la réalité de l'époque, la justice est dure pour la jolie Jeanne, menacée d'être pendue pour un menu larcin, or explique-t-il, « elle veut vivre à tout prix. Elle sait que si le bourreau épouse une condamnée, on la gracie. Mais elle sait aussi qu'être "bourrelle" est un affreux destin. »
Clavel indique même ses sources documentaires : « Mes sources de documentation pour cette nouvelle ont été les bibliothèques de Québec et de Montréal... l'étude que monsieur André Lachance a consacrée au bourreau au Canada sous le régime français... » Voilà le cadre réaliste bien campé dans lequel vont pouvoir évoluer les personnages. Le métier de bourreau est très particulier, il exerce sur les gens à la fois de la fascination et beaucoup de répulsion. Personne ne veut de cette charge et le gouverneur a été contraint de faire placarder un arrêt « qui interdisait au peuple d'insulter le maître des hautes œuvres et les siens, les Québécois s'en moquaient comme d'un gel de janvier. »
Marcel, le bourreau, supportait mal son état et cette vie de réprouvé eut un effet déplorable sur son humeur. Il lui arrivait de ne plus pouvoir supporter cette situation, « je suis maudit, hurlait-il. Je te dis que je me prépare les feux de l'enfer... Toutes les malédictions du ciel sont sur nous... sur toi et moi ! » Chez le boulanger par exemple, elle ne devait pas toucher le pain. Elle devait prendre celui qui lui était réservé, placé à l'écart des autres, marqué « d'une cocarde rouge qu'elle retirait pour la rendre à la boulangère en même temps qu'elle payait. »
Au-delà de l'histoire, Bernard Clavel,dénonce les abus de l'institution judiciaire qu'il avait déjà traités dans Les Colonnes du ciel à travers le procès expéditif contre Mathieu Guyon (La saison des loups) et le procès en sorcellerie, procès truqué mené par un juge corrompu contre Hortense (La femme de guerre) [8]. Il en profite aussi pour stigmatiser la peine de mort, alors toujours en pratique en France et les pratiques des bourreaux qui bien souvent soumettaient les suspects à la question.
Avec ces deux nouvelles, « c'est le monde de la politique et de la justice qui et sur la sellette » estime André-Noël Boichat. L'horreur de la vie de bourreau est une métaphore pour montrer l'horreur de la torture et de la peine de mort.
Cette nouvelle est dédiée à son ami Georges Renoy. [9]
Les autres nouvelles
L'Homme du Labrador
Ce texte étant parfois considéré comme un court roman, parfois comme une nouvelle, une fiche spécifique lui a été consacrée.Pour un accès direct, cliquer sur le lien : L'Homme du Labrador
Tiennot ou L'île aux Biard
Le récit commence par cette dédicace : « À Pierre Trabaud en souvenir de Légion et d'un Tiennot qu'il a bien connu. »
À la mort de son père Justin, tout le village s'exclame : « Le pauvre petit, le voilà seul à présent. » Tiennot est un bon garçon un peu simplet mais très gentil; il travaille pour les uns ou pour les autres, toujours serviable et vit seul désormais sur son île située sur la rivière de la loue dans le département du Doubs, isolé par le fait même que c'est une île. Il a bien ses poules et ses lapins, son mulet à qui il se confie. La solitude solitude lui pèse, c'est évident, aussi dans le village, on décide de lui trouver une femme. « On te dit seulement qu'un homme tout seul, c'est jamais drôle » répète le cafetier. Ce sera Clémence, une jeune femme qui ne se plaît guère dans ce lieu retiré. Tiennot est trop naïf pour se rendre compter du piège qu'on lui tend, une sordide machination pour lui extorquer ses maigres économies.
Clémence, elle restera deux mois, comme prévu dans son 'contrat' puis s'en ira, laissant ce pauvre Tiennot désespéré : « Sûr qu'elle reviendra plus, c'est sûr » se lamente-t-il. Quand il comprend enfin que le cafetier Flavien et sa femme se sont joués de lui, il explose : « L'écume aux lèvres, le visage déformé par la colère qui faisait trembler tous ses membres, Tiennot s'avança en criant : "Salaud ! C'est toi qu'a tout fait ! » Dès lors, le drame est inévitable et tout finira très mal pour les protagonistes.