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Site Univers littéraire
21 août 2017

L’anniversaire de mariage

Virée gourmande en Bresse-Dombes

De l’extérieur, un restaurant somme toute assez quelconque, coquet, sans prétention mais égayé par une nuée de bégonias, de géraniums, de pélargoniums, de zinnias qui jetaient leurs nuances rouge orangé sur la longue façade en pisé zébrée de rondins de bois. Sur le côté, de petits rosiers inermes aux pétales roses et aubères alternaient avec des buis taillés en forme oblongue.
On était bien dans la Dombes fleurie.

Le corps principal de cette ancienne ferme bressane s’étirait le long d’un chemin qui débouchait sur la grand’route conduisant à Chatillon-sur-Chalaronne. Mais la cheminée sarrasine de forme carrée qui ornait le toit n’était certes pas d’époque. Mon père, relevant un peu son béret comme à son habitude, admirait d’un œil de connaisseur l’immense charpente qui déclinait en pente douce, terminée par une large travée qui séparait le bâtiment des humeurs du climat.
- Tu admires le travail des artisans qui ont façonné cette charpente ?
- Elle doit bien avoir un siècle et tiendra encore sûrement plus longtemps que les constructions actuelles. 
La petite moue qui accompagnait ses paroles, que je connaissais bien, illustrait son admiration pour le savoir-faire de ces artisans qui avaient su façonner une charpente aussi bien équilibrée.
-Vois-tu, malgré tous les moyens techniques actuels, personne ne pourra rivaliser avec ce travail. Maintenant, on est trop pressés, on ne laisse pas assez sécher les bois, on n’a même plus de chênes de cette qualité, on raisonne d’abord  selon une logique de coût et de métrage.

                  
       Vue de Chatillon sur Chalaronne                      Ferme traditionnelle bressane

C’est ici, sous cette tonnelle, que tout à l’heure on prendrait l’apéritif  bien à l’abri du soleil, dans une douce fraîcheur, scrutant d’un œil scrupuleux la carte des menus comme si notre vie en dépendait. Dame, l’enjeu était de taille : il s’agissait de fêter dignement notre premier anniversaire de mariage, de marquer cette date par un repas d’exception.

Dès notre arrivée, une jeune femme –la belle-fille des patrons apprendrais-je plus tard- nous accueillit d’un large sourire, sans ostentation, mais aussi radieux que ses parterres de fleurs.
- Bonjour messieurs dames, venez vite vous mettre au frais sous notre avancée, il fait une chaleur d’enfer dans les voitures.
Une chaleur d’autant plus étouffante qu’à l’époque les voitures connaissaient rarement la climatisation.

Elle nous installa sans façon autour d’une table couverte d’une nappe à festons tout en continuant à faire la conversation avec les dames, vive et menue, la parole généreuse et le sourire toujours aussi avenant. Son ensemble bleu et blanc à volants rappelait à ma mère la tenue traditionnelle bressane qu’elle avait bien connue dans sa jeunesse, au temps où elle n’était pas encore cantonnée au folklore. Ne lui manquait que les sabots et la coiffe.

Sa tenue me rappela une photo de ma mère avec sa sœur Marie, prise dans la cour, devant la maison familiale de Domsure, village de la Bresse un peu plus au nord. Une photo petit format noir et blanc due sans doute à mon oncle Jules, leur frère aîné –les appareils photo étant loin d’être monnaie courante vers 1930- où les deux jeunes femmes riaient en regardant leurs pieds glissés dans les sabots de leurs parents, d’où dépassaient quelques fétus de paille. La génération des mes grands-parents fut la dernière à chausser des sabots dans leur quotidien.

Je me souvenais encore très bien, même si j’étais bien jeune alors, d’avoir vu ma grand-mère vêtue d’une longue robe noire qu’égayaient à peine quelques petits festons blancs et bleus avec sur la tête une petite coiffe blanche repassée et empesée avec un soin méticuleux. Je ne l’ai vue qu’une seule fois lors d’un comice agricole, défiler avec la grande coiffe à tuyau juchée sur la tête.

Je trouvais ma femme vraiment ravissante avec son ensemble bleu pétrole qui lui donnait des airs de midinette et des chaussures échancrées à brides d’un bleu légèrement plus foncé. Pour l’occasion, ma mère s’était acheté une robe couleur crème très simple, rehaussée d’un ourlet noir et d’un motif fait de minuscules fleurs bleues, tandis que mon père avait simplement ressorti son costume bleu de notre mariage et une cravate noire, la seule que je lui ai jamais vue porter.
- C’est pratique, m’avait-il fait remarquer avec malice en la brandissant sous mon nez, elle sert aussi bien pour les mariages, les anniversaires que pour les enterrements.
Ce genre de saillie lui valait en général des regards noirs de sa femme. Aussi noirs que sa cravate. Pour ma part, j’étais habillé plutôt en décontracté, chemisette miel et pantalon d’été dans les mêmes tons clairs.

L’apéritif  nous séduit d’emblée par sa finesse et son côté terroir : canapés de bréchets braisés avec cubes de fruits de saison, servis avec un cocktail à base de vin de Cerdon. Nous serions bien restés dans cette ambiance champêtre et détendue avec devant les yeux deux charrettes fraîchement repeintes qui débordaient de plantes vivaces, des plumbagos qui tendaient leurs petites corolles bleutées… mais notre hôtesse nous invita à passer à table. Traversant le bar, elle nous conduisit dans une petite salle ouvrant sur une terrasse limitée par des jardinières exhibant, comme à l’entrée, des fleurs aux tons rouge-orangé.

 
Mézériat : l'église et la rivière La Veyle

Le choix de ce restaurant "Au coq hardi", à l’enseigne pas très originale, aurait pu aussi comporter comme nombre de nos choix, sa part de hasard. La région regorge de restaurants à l’excellence reconnue et choisir entre toutes ces merveilles offertes à mes faiblesses relevait du dilemme. Mais en l’occurrence, c’est mon ami Michel qui m’en avait vanté les avantages et son charme discret. Il le connaissait fort bien, habitant le village de Mézériat, à quelques kilomètres de là. À l’occasion d’une visite, il m’emmena flâner sans façon au centre du village et le long de la rivière la Veyle. J’en avais gardé un souvenir ému et l’envie d’y revenir.

Michel, je le connaissais depuis une dizaine d’années, le travail et une certaine connivence n’avaient pas tardé à nous rapprocher, se transformant peu à peu en amitié. J’aimais bien cette ferme bressane qu’il retapait avec une volonté têtue qu’il cachait sous sa bonhomie apparente. Héritée de ses beaux-parents, elle arborait une façade en torchis repeinte à la chaux, prolongée d’une pièce carrée faite de briques rouges et protégée par la large avancée typique du style bressan. Des tresses de maïs pendaient du toit et d’un côté, Michel y entreposait son bois de chauffage, à l’abri des intempéries tout en bénéficiant d’une circulation d’air qui lui permettait de sécher dans d’excellentes conditions. De plus, mon ami était un fin gourmet, la rondeur de ses formes qu’il exhibait sans complexes, était assez éloquente. Nous y allâmes donc en toute confiance et, sans dévoiler la suite, je dois dire que nous ne fûmes pas déçus. 

Restait maintenant à passer commande. La discussion s’engagea sur le menu. Ma mère en bonne bressane défendait son cher poulet de Bresse à la crème, ma femme penchait plutôt vers ces fameuses cuisses de grenouilles qui l’intriguaient, et moi j’optais plutôt pour un poisson… diable nous étions en Dombes, à la limite de la Bresse il est vrai. Quant à mon père, il s’en fichait, admirant le plafond fait de belles poutres mal équarries et d’un torchis blanchi à la chaux, regardant un couple avec leurs enfants s’installer à la table d’à côté, visiblement mal à l’aise dans ce costume qu’il portait rarement et gêné de n’avoir rien à faire. Il lui tardait de revêtir son bleu de travail avec crayon et mètre dépassant de la poche latérale du pantalon, de redevenir le maçon qu’il n’avait cessé d’être, même après avoir quitté la profession. 

Après d’âpres négociations, ma femme et mon père se rallièrent à  ma proposition tandis que ma mère ne démordit pas de son poulet à la crème. Notre hôtesse vint commenter le menu pour nous aider à choisir. Les enfants de la table voisine devinrent fort turbulents, les parents ayant manifestement beaucoup de mal à dominer la situation. Perturbée dans ses explications, elle s’efforçait de faire comme si de rien n’était malgré les marques de confusion qui empourpraient son visage. J’eus la lourde charge de choisir les vins, prenant l’avis d’un grand échalas porteur d’une carte des vins impressionnante qui, devant mon ait dubitatif, me préconisa un blanc du Bugey pouvant convenir à chacun.

Après un sabayon délicat en entrée bercé par les cris des enfants, notre hôtesse revint et entreprit d’expliquer à nos bruyants voisins, non pas que leurs enfants nous indisposaient, mais qu’elle leur avait trouvé une table beaucoup mieux située, dans un endroit plus spacieux où les enfants pourraient jouer plus facilement. Elle poussa un soupir de soulagement quand ils acceptèrent avec empressement et qu’on pût poursuivre  notre dégustation dans le calme.
J’admirai son urbanité, son savoir-faire et son sens de la diplomatie pour avoir réussi à régler le problème d’une façon naturelle en donnant satisfaction à tout le monde.

    
Entrée d'une ferme-auberge bressane

Une jeune serveuse qui lui ressemblait prit le relais, annonçant fièrement la suite du repas : « Quenelles de carpe Petite sauce écrevisse, goujonnette de carpe avec une salade à l'huile de noix » tandis que ma mère attendait sans mot dire son poulet à la crème. Et le grand échalas avait raison : le vin blanc léger du Bugey se mariait admirablement avec nos choix.

Dégustant ces mets délicats, quelle ne fut pas notre surprise de voir apparaître un musicien, petit homme replet au sourire sympathique, vêtu d’un costume folklorique et portant ce que j’identifiai comme une vielle. Son accoutrement tenait plutôt me semblait-il du sans-culotte avec sa veste rouge et bleue, son pantalon rayé et ses sabots. S’installant sur une petite chaise basse et gonflant son instrument qui égraina quelques notes aigrelettes avant de prendre sa pleine mesure, il entonna un chant très enlevé qui ravit l’assistance et fit lever les fourchettes des plus affamés. Au cours du morceau suivant, plus rythmé, il marqua la scansion en frappant le sol du talon de ses sabots.
Si ce ne fut pas le fameux trou normand au calvados, ce fut en tout cas un "trou bressan" musical.

Après cet intermède, les papilles furent de nouveau à la fête avec un chariot de fromages défiant l’imagination et laissant ma mère sans voix, ce qui était déjà un exploit. Heureusement pour moi, n’étant pas un inconditionnel du fromage, je me contentais d’un petit morceau de bleu de Bresse, me réservant secrètement pour le dessert tandis que ces dames craquèrent pour un fromage blanc nappé d’une belle couche de crème.    

Sans vraiment nous en apercevoir, le temps s’était écoulé à une vitesse folle quand notre jeune hôtesse nous proposa un dessert qui fut une nouvelle découverte : « Galette crème et pralines accompagnée d'un pétillant gris perlé rosé demi-sec ». Avec sagesse, le café gourmand fut finalement écarté au profit d’un café noir bien serré.

  
Ferme-auberge bressane

Sur le chemin du retour, ma femme se sentit mal, toute livide et prise de frissons, portant la main sur un ventre douloureux. Je dus arrêter en urgence la voiture pour qu’elle puisse se soulager. « Quel gâchis, devait penser ma mère qui ne pipait mot, ce qui était mauvais signe, un si bon repas ! »

Fâchée contre elle-même de sa fichue complexion qui l’avait mise dans cet état et vraiment marrie de cet incident, ma femme s’en voulait d’avoir un peu gâché la fin de la fête. Et pourtant, pourtant, elle avait fait preuve d’une grande sagesse en évitant le poulet à la crème, en se faisant violence pour refuser de reprendre du fromage. Et malgré tout, malgré tout, il semblait qu’elle ait abusé des bonnes choses. Ah, mon Dieu, que la Dombes est dure aux estomacs fragiles !

Mais nous ne tardâmes pas à connaître le fin mot de son indisposition.
Que nenni, la culpabilité de cette excellente carpe, que nenni la responsabilité de cette profusion de fromages, que nenni d’accuser les succulents desserts, que nenni le rôle de toutes ces bonnes choses qui nous avaient ravis…

Que nenni… ma femme était tout simplement enceinte ! Tout le monde en fut bien aise et ma mère n’eut plus qu’à nous féliciter !

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<< Christian Broussas Bresse-Dombes © CJB  ° • 21/08/ 2017  >>
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