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Site Univers littéraire
12 mai 2014

Mystérieuse Ella

« Que reste-t-il de la vie d’un homme ? Une photo, des papiers… les souvenirs de ceux qui l’ont connu ou rencontré […] Ainsi l’écho d’une vie décroît-il jusqu’à s’éteindre tout à fait. »
Patrick Modiano – Rue des boutiques obscures

Mystérieuse Ella – Prologue

Ah la famille, le mot est si beau, si plein de bons sentiments, même si des grognons lui trouvent encore un arrière-goût pétainiste, une amertume pour tout dire réactionnaire. Mais la famille, au-delà de quelques générations, devient vite un véritable labyrinthe dont le fil d’Ariane s’échappe dans les impasses et les chausse-trappes. Sous cette belle architecture dont certains arbres généalogiques atteignent à l’œuvre d’art, se dessinent des pointillés, des non-dits, des branches qui ne mènent nulle part, des points d’interrogation qui occultent le côté sombre de branches qui doivent rester dans l’ombre. Comme si l’arbre généalogique dégénérait parfois, s’étendant sans mesure en cellules proliférantes, comme un cancer.  

Peut-être en est-il ainsi de cette Antonella, ombre incertaine d’une tout aussi incertaine branche de la famille. Quelle importance après tout puisqu’elle n’a donné aucun fruit, aucune descendance. Petite branche qui va doucement sécher sur l’arbre généalogique, un cul-de-sac qui n’intéresse personne. Et pourtant, derrière la sécheresse se dessine l’histoire intime d’une femme au destin éblouissant, dont il ne reste rien, tant la plupart des destins individuels pèsent peu dans la balance de l’histoire, pas même parfois une simple inscription sur une tombe, qui reste bien souvent un simple nom sans signification, un nom désincarné dans la pierre froide de l’oubli, sans plus rien évoquer aux quelques descendants qui viennent une fois l’an satisfaire au rite de la Toussaint, poser quelques fleurs symboliques sur tous ces noms anonymes qui s’égrènent au fil des années.

On n’écrit jamais que sur du sable ou sur la neige selon le titre d’une autobiographie de l’écrivain Bernard Clavel.

Je ne sais quel fut le destin d’Antonella parce qu’elle préféra rompre tout lien avec ses anciennes vies, sans plus de famille, sans plus d’amis, allant se terrer dans un coin retiré pour finir ses jours comme une exilée dans sa propre vie, comme si elle avait  acquis la certitude de ne manquer à personne. Comme ces animaux qui, sentant la mort approcher, partent à la rencontre de leur dernière aventure.

Son histoire aurait pu rebondir un  jour à l’occasion de l’un de ces petits clins d’œil dont le destin a le secret. Un jour, un étranger frappe à votre porte, comme ça n’est arrivé, et vous apprend le décès d’une tante inconnue. Un destin à reconstituer, à force  de patience, en se coulant dans les arcanes d’une vie.
Pourquoi pas.

Mais Antonella ne l’a pas voulu ainsi…

1ère partie – Une vie obscure

Elle était de ces femmes qu’on ne remarque pas, passante anonyme avec son éternel fichu noué autour du cou, qui cachait mal ses cheveux gris. Je n’aurais pas su lui donner d’âge, simplement l’impression qu’elle était plus jeune qu’elle ne paraissait ; l’air poupin malgré les rides et le regard fatigué, un regard qui portait quelque chose d’indéfinissable, un quelque chose qu’elle semblait porter comme un fardeau accepté avec résignation. Tous les matins, quel que soit le temps, elle déambulait dans le quartier, traînant les pieds, son vieux cabas à carreaux rouges et verts à la main. Chaque matin, car elle disparaissait ensuite, invisible, restant sans doute tapie dans sa tanière le reste de la journée. C’est du moins ce que je croyais, trompé par cet esprit vagabond qui m’a parfois joué des tours, apprenant ensuite qu’elle se rendait souvent à l’église l’après-midi pour se recueillir, s’oublier dans l’infinie bonté de la clémence divine.

Tout en elle m’intriguait, cette aura de mystère qui nimbait ce regard qui avait toujours l’air d’être ailleurs. Pour quelle contrition, pour quel remords ? Cette femme portait en elle une fêlure qui la rongeait, tout dans son attitude révélait une vie inutile vouée à l’ennui.   

Plus tard, quand j’eus à force de patience gagné sa confiance, elle me confia avec réticence ses difficultés, le remords d’une jeunesse dissolue, insouciante, défi au jugement divin qui fut sans appel.  Elle accepta comme un châtiment mérité les foudres célestes qui la frappèrent, expiant sur les bancs râpeux de l’église la nostalgie coupable de ses années de gloire. « Tout se paie, vous savez, tout se paie à la fin »,  soupirait-t-elle, comme si c’était inéluctable.

Elle me parla de l’histoire de cette femme Anne-Marie qui fut son amie, une « croqueuse de diamants » me dit-elle en riant –si, si, croyez-moi, pour une fois elle riait franchement, je vous assure- qui réussit à se faire épouser par un riche étranger qui eut le bon goût de mourir assez vite et finit sa vie dans un couvent isolé, confite en dévotions, dans le silence des montagnes alpines, quelque part au-dessus de Grenoble. La croqueuse de diamants transmuée en dévote, comme un papillon qui sort de sa chrysalide. Histoire incroyable. Mais il existe tant de destins incroyables. Pas seulement une question d’époque.

La mystérieuse Ella aussi, à sa manière, faisait ses dévotions dans la petite chapelle de Notre-Dame de la Rédemption, l’église du quartier, sa façon de se retirer du monde pour s’y être précipitée sans retenue, avec cette soif de vivre propre à la jeunesse. Faute d’avoir assez d’abnégation ou de goût du sacrifice, de se retirer derrière les hauts murs d’un couvent, elle s’usait les genoux sur le bois mal équarri d’un prie dieu en récitant ses patenôtres.

Une façon de se punir pour n’avoir pas su se pardonner.

Aux beaux jours, elle s’asseyait sur l’un des bancs de la grande avenue qui traverse le quartier, toujours le même, à l’ombre des grands platanes, contemplant le spectacle banal de la vie quotidienne, les ménagères qui discutaient en faisant leurs courses puis, en fin de matinée, plus pressées cette fois, partant chercher leurs gosses à l’école primaire de la rue Eynard. Arrivaient ensuite les ouvriers de l’usine CEL, le fabricant de matériels électriques, qui sortaient en chahutant, contents de cet entracte dans un travail ingrat, et s’égayaient dans les bistrots du quartier qui servaient à midi un repas rapide. Quand le silence s’étendait à nouveau sur la grande avenue, elle faisait le tour du quartier ou, les  jours de marché, sillonnait les allées, s’arrêtant pour papoter avec Olga la marchande des quatre saisons, la seule amie qu’on lui connaisse.

Les mauvais jours venus, elle s’attardait au café de la place de la République, toujours à la même table vers le bar près de la fenêtre, s’attardant devant une carafe de blanc, suivant en silence les parties de belote disputées et bruyantes ou contemplant à travers la vitre le spectacle de la vie, les allers et venues de gens qu’elle finissait par reconnaître, une jeune femme mal fagotée qui chaque jour passait chez l’épicier et allait récupérer à l’école primaire de la rue Eynard toute proche ses deux enfants et surtout la jeune Luana qu’elle guettait pour la voir traverser l’avenue et aller faire des livraisons. A voir son ravissement quand Luana apparaissait dans son champ de vision, s’apprêtant à traverser l’avenue, elle devait se projeter dans la jeune fille, s’identifier à cette souple silhouette aux tenues qui devait la bouleverser en fracassant ses souvenirs.

La voyais-je vraiment moi-même Ella, cette ombre fondue dans l’ombre des grands platanes ou dans les embruns de l’hiver ? Ce n’était guère qu’une silhouette grise confondue dans la grisaille du quartier, comme une épure à peine visible dans un champ de neige brumeux. Ses tenues en camaïeux de gris avaient tendance à se fondre dans le crépi gris sale des façades et le gris moucheté des pavés. Rien à voir avec la pimpante Luana, la fille des Galli qui habitaient un deux-pièces avec leurs trois gosses au-dessus d’un hangar à l’abandon. Chez eux, montaient des remugles de moisis de ce hangar où la lumière pénétrait avec parcimonie.

Aucune démarche n’avait abouti et rien ne changeait : le propriétaire attendait simplement que les prix du foncier grimpent pour vendre. C’était ainsi dans ce quartier, le bâti vétuste ne valait rien et beaucoup de propriétaires attendaient patiemment que la pression foncière leur permette de réaliser de bonnes affaires.

Dans l’éclat de sa jeunesse Luana plaisait aux hommes qui  la trouvaient plutôt piquante, toujours gaie et la répartie facile, mais en général on la jugeait plutôt vulgaire avec son côté aguicheur et ses tenues voyantes. Il fallait qu’elle se fasse remarquer avec ses jeans serrés et rapiécés tombant  sur des bottes rouges ou vertes et ses pulls aux couleurs crues qui moulaient ses seins.  
Les femmes, "pleines de chuchotements et de conciliabules", c’était pire. Leurs réflexions, leurs mines  outrées sur son passage, leurs regards de reproche la faisaient sourire, l’excitaient plutôt, comme ces réflexions qu’elle percevait sans broncher, avec aux lèvres juste un petit sourire à la Joconde

Elle se pavanait ainsi par défi, faisant sans y penser le vide autour d’elle, les femmes la fuyant comme la peste, les hommes la contemplant de loin sans oser l’aborder devant les copains. Pour eux, elle relavait plutôt du mythe que de la réalité. Sa mauvaise réputation, elle la revendiquait, la brandissait comme une oriflamme, fredonnant parfois en passant, fière, le nez au vent, la chanson de Georges Brassens « au village sans prétention, j’ai mauvaise réputation, pom, pom, pom… j’ai mauvaise réputation, tra la la… »  Ses tenues excentriques en rajoutaient dans la provocation, marquant ainsi sa différence, « ça me ferait mal de leur ressembler, on n’est pas du même monde… » lança-t-elle une fois à Ella qui me raconta ce genre d’anecdotes, un jour où elle avait dû enfermer ses démons dans le tabernacle de l’église de la Rédemption.

Cette Luana et ses façons devaient tant lui rappeler sa jeunesse, l’époque de ses débuts, la course aux petits cachets et la confirmation des effets de sa plastique sur les hommes. Une volonté de réussite, une soif de revanche qui la taraudaient. Cette façon aussi d’aimer se mettre en scène que son métier lui offrait "en prime".

Elles s’étaient rencontrées un jour où Luana était venue s’asseoir sur le banc à côté d’elle. Sans raison, juste pour engager la conversation. Ella en avait été agréablement surprise. Peut-être que la jeune fille avait perçue ce qui, au-delà des apparences, les rapprochait, ces mystérieux atomes crochus qui expliquent les attirances.

Au début, ce furent de petites attentions, une gâterie, un croissant quand Luana partait faire ses livraisons. Ella se surprenait à accompagner cette jeune écervelée, au moins faire partager ses erreurs, son manque de discernement, sans insister, comme ça en passant l’air de rien, lui racontant des tranches de sa vie pour lui montrer que ce monde peut avaler tout cru les petits tendrons de son espèce.

Dans la personne de Luana, dans son comportement, elle se revoyait au même âge, jeune et naïve, confiante dans le monde et dans sa bonne étoile, ignorante de la fable du loup et de l’agneau, s’avançant à visage découvert mais vers d’autres visages cachés sous des loups. Apparences contre apparences. Mais comment lui expliquer ? Ella aurait voulu lui montrer les pièges, les chausse-trappes qui l’attendaient, elle aurait voulu la protéger, lui éviter de vivre ce qu’elle avait vécu. Peut-on vraiment partager son expérience ?    

Luana s’interrogeait bien sûr sur son avenir –« oui, oui, j’y pense bien sûr » répondait-elle, laconique- mais se focalisait surtout sur ses difficultés présentes. Oh !, comme elle les connaissait Ella ces petites biches qui fantasment et rêvent leur vie, prêtant une oreille complaisantes, aux sirènes de l’inconnu, un brin rebelles mais regagnant le troupeau, les rêves évanouis. Luana était bien de ce genre, brassant pour l’instant de fumeux projets, histoire de se projeter ailleurs, hors d’elles-mêmes, trop provocatrices pour être bien dans leur peau. Elle était de ces natures fraîches et joyeuses que les revers de la vie ont du mal à entamer mais pour combien de temps ?

Une jeune fille mûrie trop tôt par la dureté de sa condition.

Antonella, que sur le marché on appelait Ella, habitait un peu plus haut, dans une de ces rues étroites qui serpentent derrière les usines pour rejoindre la place de la République, le cœur du quartier. Elle vivait dans une pièce exiguë au-dessus d’une boulangerie qui diffusait de bonnes senteurs de pain cuit, mélangées à des odeurs de farine et de fournil plus écœurantes. Peu à peu, cette odeur s’était insinuée chez elle au point de tout imprégner, ses vêtements, son éternel fichu qu’elle ne quittait qu’aux grandes chaleurs ou même dans les fibres de son cabas ; elle-même avait fini par dégager une subtile odeur de pain cuit assez surprenante que personne ne semblait remarquer.
Je la croisais sans doute dans les rues ou chez les commerçants du quartier sans la voir vraiment, sans attacher d’importance à cette silhouette silencieuse et sans grand attrait. 

Plus tard, quand nous fûmes assez proches pour se confier, « Moi, je vous connais, enfin… de vue, comme on croise son voisin sur le pallier ou devant l’immeuble, vous savez, je n’ai rien d’autre à faire de mes journées… » me dit-elle en me servant une nouvelle tasse de thé. « Finalement, je préfère passer inaperçu. Et sans le savoir, vous me faisiez sourire avec votre air, non pas pressé de celui qui laisse tourner le moteur de sa voiture devant la boutique pour gagner quelques secondes comme j’en connais, mais l’air plutôt absent comme je dois en donner l’image moi-même. Vous me rappeliez alors  un scénariste qui suivait à peine les scènes qu’on filmait, le nez dans ses papiers à noter et à raturer. » Ainsi, je la faisais sourire, je l’intriguais sans m’en rendre compte, sans me douter de sa curiosité amusée à mon égard.
En somme, on s’intriguait mutuellement.

Elle qui apparemment ne s’intéressait pas à grand-chose –à part sa copine Olga et Luana- elle s’amusait de cette espèce de naïveté qu’elle me prêtait. Ainsi, contrairement à moi, elle était très sensible à son environnement. Elle qui fut jadis sur le devant de la scène, avait choisi était devenue transparente, recherchant l’ombre après avoir connu trop de lumière.

Paradoxe de nos parcours qu’un hasard avait fait se croiser.  Je l’avais bien coudoyée quelquefois ici ou là sur le marché ou chez les commerçants du quartier –c’était inévitable- sans lui prêter attention, passant indifférent devant ce banc où elle aimait s’attarder quand le temps le permettait. On s’était sans doute aussi croisés chez l’épicière de la rue Sainte-Anne, ma liste de commissions à la main, mes soucis e tête, trop replié sur moi-même pour m’intéresser à cette femme falote qui attendait sagement son tour, un peu à l’écart vers les tonneaux de vin alignés sur un côté du magasin.

Et puis un jour elle chuta devant moi, son pied vrillant sur le trottoir tandis qu’elle attendait pour traverser l’avenue. Je me précipitai juste à temps pour la saisir sous l’aine avant qu’elle ne s’étale sur la chaussée. Quelques pommes, trop heureuses de l’aubaine, s’enfuirent en roulés-boulés jusqu’au caniveau. Elle resta penaude, les bras ballants, ayant du mal à recouvrer ses esprits et voyant à peine qu’on lui tendait son cabas. Peut-être avait-elle été victime d’un petit malaise, peut-être son pied avait-il plus simplement glissé ou ripé, entraînant sa chute. 

Devant sa pâleur et sa cheville enflée, je lui proposai de la raccompagner chez elle tout en m’emparant du précieux cabas. Je ramassai les précieuses pommes qui s’étaient échappées et nous partîmes clopin-clopant vers sa demeure. Monter le vieil escalier de pierre raboteux, usé en son milieu fut une rude affaire car elle boitait de plus en plus et grimaçait en se cramponnant à la rampe de fer. 
Pour le moment, je pensais plutôt à mon rendez-vous en maudissant ce contretemps qui allait m’obliger à prolonger ma journée de travail. Je m’en voulais presque de cette bonne action qui perturbait mon emploi du temps.

Tout à mon souci de l’installer dans son fauteuil et d’ouvrir les persiennes à-demi closes, je ne prêtai pas attention à cette pièce encombrée de meubles et de bibelots. Mais quand mon regard fit le tour de la pièce, je restai scotché : les murs étaient tapissés de photos, les plus anciennes en noir et blanc de tous formats et les autres, les plus nombreuses, en couleur avec, sur le mur du fond, tout un lot de photos de magazine au papier défraîchi, où elle rayonnait, souriant de toutes ses dents, au bras des vedettes en vogue à l’époque dont beaucoup m’étaient inconnues.

Maintenant qu’elle était à l’aise, installée dans son fauteuil, le pied douloureux reposant sur des coussins, elle me regardait avec malice. Je m’en aperçus et dus rougir car elle rit de bon cœur, oubliant sa douleur. J’étais confus qu’elle me découvrît à contempler sa collection de photos et ma rubescence dut encore augmenter car je ne trouvai rien à dire.

-   Je vois que vous êtes plutôt étonné de mon exposition.
-   Oui… plutôt, bredouillé-je, c’est une façon originale de décorer son appartement.
-   Je m’appelle Antonella mais on dit simplement Ella. Seule mon amie Olga, la marchande de fruits, m’appelle encore ainsi. Approchez-vous, approchez-vous si vous voulez, c’est bien moi la femme sur ces photos, ma biographie en images. Enfin pour mes plus belles années car après…

          Olga, la marchande des 4 saisons

Sans relever les points de suspension et le geste évasif qui les ponctua, je me présentai à mon tour et fis le tour de la pièce, regardant les photos de plus près. J’eus du mal à reconnaître en elle cette jeune femme aux formes magnifiques qui prenait la pose et souriait dans les bras de superbes mâles. Je bredouillai quelques mots, des banalités pour meubler le silence et éviter de constater l’évidence : le choc de ces images, la femme qui me faisait face et celle des photos, la femme lumineuse et celle de l’ombre. Le gouffre qui les séparait. Elle vit bien sûr mon trouble, s’y attendait, pas dupe de mes atermoiements, cet air embarrassé difficile à cacher- je ne sais rien dissimuler- mais ne montra rien.

Peut-être que si j’avais osé scruter son regard à ce moment-là, y aurais-je décelé une lueur d’affolement tout au fond de ses pupilles, comme un reproche à celui qui, même sans le vouloir, avait violé son intimité. Elle soupira profondément et grimaça en bougeant sa cheville blessée. 

-  C’était avant mon accident, semblait-elle s’excuser-t-elle. Vous êtes le seul depuis bien longtemps à voir ces photos que je n’ai pas la force de les retirer mais, à part mon amie Olga, personne n’a eu le loisir de les contempler comme vous. Que de questions une telle confrontation aurait pu susciter. Je sais tout cela bien sûr, j’imagine d’avance la tête de visiteurs éventuels, leur air ahuri, leur gêne aussi. Un peu comme la vôtre en ce moment. Croyez-moi, je ne suis pas dupe de l’ambiguïté de cette situation, même si vous êtes une personne bien élevée qui tente de cacher ses émotions.

Et justement, vous qui les avez vues mes fameuses photos, permettez-moi de vous supplier de n’en parler à personne, de garder pour vous mon secret, d’oublier la femme des photos, que j’ai été et ne suis plus depuis longtemps. La gravité de son visage me mit encore plus mal à l’aise, hochant simplement la tête, trop ému pour risquer un commentaire. Je sentis sur moi son regard las, grimaçant à nouveau en voulant soulever sa jambe endolorie.

- Euh… Je vous en donne ma parole, vous pouvez compter sur moi, parvins-je à articuler, incapable de trouver une remarque pertinente qui aurait pu alléger le poids du silence qui menaçait de s’installer.

- Ne vous excusez pas, je comprends trop la gène que vous pouvez éprouver.

 - J’y devine surtout une vie extraordinaire que beaucoup doivent vous envier.

Elle fit un grand geste de la main et murmura simplement en se tournant sur le côté : « je me sens fatiguée à présent,  je crois que je vais me reposer. » Je ne sais si elle s’endormit presque aussitôt ou si elle feignit le sommeil pour couper court à  cet entretien qui nous pesait de plus en plus et je me sentis soulagé de son initiative. Je  partis songeur, me demandant quel avait bien pu être ce curieux itinéraire qui l’avait conduite de la gloire à ce quartier de banlieue anonyme où elle avait finit par échouer. L’écart était tel que si elle m’avait affirmé « sur ces photos, c’est ma sœur jumelle », que je l’aurais cru !

Le lendemain, non sans quelque appréhension, je résolus d’aller prendre de ses nouvelles. Je la trouvais penaude et bougonne, allongée sur son lit, un gros coussin dans le dos pour lui relever la tête, la jambe blessée juchée sur un édredon.

D’après le médecin, que la concierge s’était résignée à appeler, elle en avait au moins pour plusieurs jours à être immobilisée, sans compter la rééducation  –« me voilà impotente à présent, se lamentait-elle- à ne guère pouvoir poser le pied à terre. » Aussi après quelque hésitation, dut-elle me prier d’aller prévenir son amie Olga de sa mésaventure. Olga était comme elle, une silhouette que j’apercevais les jours de marché derrière son éventaire, vendant des légumes et surtout les fruits de saison. Je l’avais remarquée parce que j’aimais sa façon de présenter ses fruits, surtout les différentes variétés de pomme qu’elle disposait selon les couleurs : le vert des Granny Smith se mélangeait harmonieusement avec le jaune tendre des goldens, les gris et gris-vert des canadas qu’elle rangeait en dégradé, des Antarès à la robe rosé veinée de bistre qu’elle mélangeait avec des reinettes au jaune pâle et différentes variétés de pommes rouges, mélange de ‘red delicious’, de melrose, d’astrakan et starking au rouge profond. Délice pour les yeux avant de devenir délice du palais.
Une présentation qui donnait envie d’acheter.

Ses compositions me rappelaient les étals multicolores d’épices que j’avais connus lors de voyages en Tunisie ou en Turquie. Pour moi, elle était la femme aux pommes, une petite femme boulotte entre deux âges qui se tenait toujours à la même place au marché, entre le camion du boucher et la buvette, « un bon emplacement » m’avait-elle dit-elle en plissant les yeux. Un regard si malicieux qui contrastait tant avec son allure débonnaire.

Je promis d’aller au plus vite prévenir cette chère Olga.

J’eus quelque peine à dénicher son domicile, une maison minuscule cachée derrière un bloc de HLM. Pour aller chez elle, il fallait passer par le couloir d’un immeuble, pousser jusqu’au fond et par une porte, déboucher sur une minuscule cour intérieure où les locataires venaient étendre leur linge.  Sa maison était adossée à un haut mur de hangar. Je dus m’annoncer pour qu’elle daigne m’ouvrir tant elle paraissait surprise qu’on lui rende visite. ’
Quelque peu inquiète et elle avait raison.

Chez Olga, je retrouvai le même décor que chez Ella. Imaginez ma stupeur. Elle vivait dans une grande pièce un peu sombre, tapissé des photos de son amie, disposées en thématique : Ella et son chien, Ella et ses chats, Ella au festival de Cannes, au festival de Venise, Ella à la plage… une véritable adulation. Elle me lorgnait en coin, encore plus inquiète, tout en virant un chat pour me faire asseoir.

- Quelle galerie de portraits, dis-je du ton le plus détaché pour amorcer la conversation. Je devais avoir l’air super gêné devant cet étalage de  "déjà vu", essayant maladroitement de ne pas trop jouer au voyeur.

Elle m’offrit la tasse de thé rituelle en se lamentant sur le sort de la pauvre Ella, « une femme qui n’a pas eu de chance dans sa vie ». Comme si cette pauvre Olga en avait eu, elle, de la chance ! Enfin, elle n’avait pas connu la dégringolade, elle n’avait jamais été submerger par le plaisir sans prix de compter, d’être au-delà du commun, dans un monde parallèle où seuls les élus ont accès.  

J’avais du mal à suivre ses explications, évoquant des événements qui m’étaient inconnus mais au grand jamais je ne l’aurais interrompue.

- Je lui rendrai visite après votre départ, je passerai d’abord chez Jeannette lui acheter des provisions. Je lui porterai aussi mes belles pommes, ça lui fera plaisir.

Message reçu : il allait falloir écourter la visite. La pauvre Ella n’avait pas fini de manger des pommes durant sa convalescence ; elle allait en voir de toutes les couleurs. De toute façon, ça ne pourrait pas lui faire de mal. Je tentais une ultime ouverture. « Parlez-moi d’elle » soufflais-je en fixant le fond de ma tasse. Les yeux au plafond, elle soupira de nouveau en haussant les épaules. Je savais qu’elle ne dirait rien d’intéressant.

- Elle est ma seule amie, ma sœur, ma confidente, elle est trop bien pour moi, c’est pourquoi j’ai scrupules à vous en parler. Et de toute manière, c’est à elle à le faire, pas à moi.

Fin de non recevoir. Manifestement, ce n’était pas le jour et je regrettais d’avoir manqué de tact. J’avalais le fond de ma tasse de thé et prit congé. « Merci pour le thé, je me permettrai de repasser pour prendre des nouvelles ».  Mieux valait prendre date et ne plus rien brusquer.

Le lendemain, après un bref passage chez Ella qui gémissait de son état, immobilisée, le pied sur une chaise avec un beau pansement tout neuf, j’étais de retour chez Olga. De nouveau, j’eus droit à une tasse thé –en fait elle était ravie d’avoir de la visite et de faire l’intéressante- et de nouveau je contemplai l’exposition des photos en risquant un petit commentaire sur la beauté plastique d’Ella à cette époque.

- Oui, en effet elle est superbe, n’est-ce pas ; c’est bien Ella au temps de sa splendeur quand elle était jeune et célèbre, quand elle faisait tourner la tête des hommes, quand elle me faisait rêver. Comment seulement imaginer qu’un jour elle deviendrait ma meilleure amie. La vie réserve de ces surprises ! Elle est si naturelle ainsi, avec ce sourire, ses poses inimitables, une vrai réussite de la nature. Mais la vie et les drames qu’elle a vécus ont fini par la détruire, la pauvre… 
Heureusement que je suis là pour lui remonter le moral !

Á l’en croire, elle aurait connu autant de grands bonheurs que de grands malheurs. Elle me parlait de malheur, mais je ne voyais rien parmi ces photos qui pût y faire allusion. Au contraire. « Ce que vous voyez aux murs, ce sont les photos du bonheur ; le malheur, on voudrait l’oublier, on n’a pas besoin de l’afficher. »  Maintenant, après toutes ces années d’un parcours aussi chaotique,  une vie partagée entre gloire et malheur, Ella avait en quelque sorte rejoint Olga, maintenant elles étaient vraiment devenues des jumelles, comme si elles avaient traversé les mêmes épreuves, reçu les mêmes hommages et les mêmes honneurs. Elles restaient aussi évasives sur leur vie respective, aussi rétives l’une que l’autre à évoquer leur passé. Quand j’insistais, Olga pratiquait la digression à haute dose ou changeait carrément de sujet.
Décidément, je ne saurai jamais rien de ces deux femmes.

Que répondre à la dignité lasse et désabusée que je lisais sur ses traits, un visage où les rides rejoignaient celles d’Ella. Maintenant, malgré des parcours sans commune mesure, aux antipodes l’un de l’autre, elles s’étaient rejointes dans l’anonymat et le renoncement, dans une vie étrique à laquelle elles s’étaient résignées. Á présent, au plus le passé s’éloignait et plus elles devenaient semblables, interchangeables. Autant Ella avait été évasive, rétive à parler de son passé, autant Olga, mise en confiance, aimait raconter, sans souci de la chronologie, mélangeant les événements. Á  moi de me débrouiller pour reconstituer le puzzle.

- Parlez-moi d’elle, lui demandais-je sans préambule, assis devant ma tasse de thé. J’en aurai avalé des tasses de thé –« encore un peu, oh juste un soupçon »- pour susciter ses confidences !  Ce jour-là, elle soupira en reposant sur la table un sucrier décoré de fleurs roses comme en avait ma mère et s’assit lourdement sur une chaise branlante.

- Sa vie, on peut la résumer par tout ou rien. Moi, voyez-vous, il ne m’est rien arrivé. Avec elle, quand elle se  raconte, c’est comme si je participais, comme si je l’avais suivie dans cette vie fastueuse, cette vie de rêve qu’elle a menée pendant presque quinze ans.  Oui monsieur, pratiquement quinze ans qu’elle a vécu pleinement comme si elle pressentait que ça s’arrêterait un jour sans crier gare. Pour elle, mourir tôt ou tard, c’est pareil. Un jour de déprime, elle m’a avoué : « Il y a bien longtemps que je suis morte. » Pour moi bien sûr, c’est différent. Ma vie a pris un sens quand je l’ai rencontrée.

Elle m’expliqua que pour Ella, la vie s’était arrêtée avec son accident… Après c’est comme si elle était atteinte d’amnésie, comme si elle voulait passer ses souvenirs en pertes et profits. Trop douloureux. Après la gloire, déchoir est terrible, c’est tout perdre, les rêves qui vous filent entre les doigts. Quand par étourderie Olga y fait allusion, Ella se referme, fait de gros yeux de reproche et s’éclipse au premier prétexte. Il faut savoir la prendre… et s’armer de patience.

Olga était plus encline à la confidence… et elle m’aimait bien. En fait, elle renâclait à parler de sa vie, d’une vie qui était d’une platitude… Celle des pauvres qui n’ont guère que leurs soucis quotidiens pour horizon. Peu de références chronologiques, des fêtes, quelques communions et quelques mariages, les rares événements qui rythment une vie consacrée au travail où l’essentiel est d’assurer les fins de mois. Son seul vrai plaisir maintenant était de se projeter dans la vie d’Ella, de s’y mouvoir comme si elle l’avait vécue.

Le lendemain, soucieux d’avoir de ses nouvelles, je retournai voir Ella. Elle clopinait autour de la table en préparant le thé, heureuse et contrariée de me revoir. Contente d’avoir de la visite tout en sachant très bien pourquoi je venais. Surprise : Luana entra presque aussitôt en martelant le carrelage de ses talons, le cabas à carreaux sous le bras.
Je me gardai bien de toute remarque.

- Oh, elle est gentille cette petite, n’est-ce pas ! Elle s’est proposé de faire quelques courses pour éviter les trajets à Olga. Cette pauvre  Olga avec ses varices doit se ménager.

Luana l’aida à préparer le thé comme si elle était chez elle, avec un naturel qui m’amusa. Elle babillait comme d’habitude, gazouillis d’oiseau ponctué de petits rires cristallins qui nous berçaient en emplissant la pièce. Ella buvait son thé avec l’air pénétré qu’elle devait prendre dans les cocktails de sa jeunesse. Je lui en fis la remarque.

- C’est quand j’ai commencé à être connue que j’ai appris à respecter des codes dont je ne soupçonnais même pas l’existence. On imagine et on s’imagine… Demandez à Olga, elle est tombée de haut quand elle a su. Au début, je n’ai vu que les feux de la rampe, éblouie par cette subite reconnaissance, cette notoriété qui me tombait dessus, puis j’ai découvert l’envers du décor quand j’ai été confrontée à la dure réalité du métier. Derrière le paraître se profile les contingences du star-système. Je savais bien qu’un jour le rêve allait s’évanouir mais je ne voulais pas le savoir. Pas l’admettre. Une injustice.

Elle était partie. Jamais je ne l’avais vue ainsi.

- Je ne savais même pas que boire du thé, ça s’apprend, ce n’est pas inné, savoir marcher, savoir rire, savoir se tenir, ça s’apprend aussi. Tout s’apprend. Chez mes parents,  on ne se demandait pas comment faire pour mettre un pied devant l’autre. S’ils avaient su, ils seraient morts de rire. Et ils auraient eu tort.

Olga l’a un peu plaisantée, c’était sa petite revanche sur Ella et sur le destin. Elle n’aurait jamais pensé à faire comme Ella, à rompre avec son milieu et se lancer à l’assaut de la vie, elle n’aurait jamais songé à "réussir" car chez elle, réussir n’existait pas, la dignité c’était rester honnête et bosser.
Ce qu’elle avait fait avec plus ou moins de bonheur.

Ella parlait d’un ton neutre comme s’il s’agissait d’une autre, comme si son histoire ne la concernait pas vraiment. Je lui en fis de nouveau la remarque. Elle grimaça - je ne sus si c’était de douleur ou suite à ma remarque-  et alla se reposer dans son fauteuil.

- Que voulez-vous, soupira-t-elle, cette époque me paraît si lointaine, comme s’il s’agissait d’une autre. J’en viens à mélanger les dates, c’était en telle année, à propos de tel événement… non, probablement en… et puis quelle importance ! Sans doute que les événements n’ont que l’importance qu’on leur donne sur le moment. Ceux qui ont marqué ma vie d’alors me semblent aussi dérisoires que lourds à porter… Je prenais tout au sérieux, la moindre vétille me mettait dans tous mes états, une faute de maquillage, une faute de goût et j’étais aux quatre cents coups. C’est fou à dire mais je passais des nuits blanches à me ronger les sangs pour des riens. Personne ne le savait, le public ne voit que les paillettes, que ce qu’on veut bien lui montrer.
Et heureusement en un sens car je me rends compte aujourd’hui que je suis un personnage de tragédie qui n’a joué que des comédies.

Elle s’agitait dans son fauteuil en rogne contre elle-même pour ces confidences qui lui avaient échappé, me regardant à peine, moi si attentif, les sens en éveil, le nez dans ma tasse de thé. Elle se tut quelques instants, peut-être pour chasser les images qui affluaient, ces souvenirs encombrants qu’elle refoulait depuis si longtemps, se retourna encore dans le fauteuil qui craquait son poids, puis elle reprit son récit.

- Un jour, mon impresario d’un geste théâtral a déchiré ma photo à la une du magazine "Star" en criant : « Ma petite, voilà ce qui t’arrivera si tu continues à n’en faire qu’à ta tête et à négliger mes conseils. » Il n’arrêtait pas de m’en donner de ses satanés conseils –fais ci, ne fais pas ça…- j’étais un peu paumée dans ce monde étranger.

- Voilà, tu repars dans tes jérémiades, lui rétorqua Olga. Tu étales tes regrets comme de la pate à tartiner alors que tu as tout connu, que tu as eu une vie merveilleuse que tout le monde t’envie. De ces vies comme j’en lisais dans les magazines, les romans-feuilletons qu’achetait ma mère et qui me faisaient pleurer à chaudes larmes.

- Je ne savais pas alors, ma pauvre amie,  que rien n’est sérieux. Olga ne veut pas m’écouter, elle pense qu’il s’agit de caprices, des idées d’oisifs qui n’ont rien d’autre à penser. C’est son côté émouvant avec ses idées bien rangées dans sa petite tête et son sens aigu de la propriété. Au fond seuls ceux qui ont tout ou qui n’ont rien peuvent avoir des certitudes, au milieu c’est informe, un marais. Visiblement, Olga n’était pas trop d’accord, hochant la tête en grimaçant mais s’abstint de la contrarier.

Moment d’abandon en tout cas. Luana, très émue, écrasa sa larme de midinette et entreprit de rincer les tasses pour se donner une contenance. Ella accusait le coup, le regard vide soudain, ailleurs, elle murmura encore quelques mots que je ne compris pas puis elle s’assoupit, la tête glissant contre le bras du fauteuil.
Olga ne pipa mot. Comme moi.

2ème partie – Mystérieuse Ella

Je profite de la quiétude de cette nuit perle, au ciel étoilé, pour laisser ma plume évoquer Luana. Pas tant son histoire, il faut préserver la part de mystère, mais ce qui fait d’elle une personne unique saisie dans son altérité. Mais pourrais-je jamais vraiment saisir la part la plus ineffable de sa personne, irréductible à toute connaissance véritable ?  Ceux qui la connaissent se sont bien sûr forgé leur propre image à partir de leur propre monde onirique, de leurs préjugés ou de leur imaginaire, l’épicière, la concierge des logements ouvriers en face de chez Olga, la pimbêche de la rue Eynard et ses regards de reproche, Olga et ses soupirs, Ella bien sûr, Ella si lucide et qui hausse les épaules  en écoutant les jérémiades d’Olga.

Les pièces assemblées ne ressemblent pas tant à un puzzle qu’à un collage aux éléments juxtaposés, qui se chevauchent et coïncident rarement. Un désordre créateur que je m’efforce de traduire en mots. Pas d’histoire mais une certaine vision à tracer dans l’épaisseur de cette nuit, dans la solitude de mon île d’ombres autour du silence nimbé de la création.

Luana, je l’ai retrouvée chez Ella, affairée au repassage, joyeuse et contente de vivre, comme à son habitude, fredonnant un air à la mode. Puis chez la boulangère, le cabas des courses à la main, pestant contre la pluie qui crottait ses belles bottines vertes et même sur le marché aidant Olga à vendre ses pommes. Olga disait, admirative, qu’elle possédait la bosse du commerce. « Avec son bagout, elle vend deux fois plus que moi maintenant; elle a vraiment trouvé sa voie. » Je lui en fis compliment, ironisant sur ‘la fée du quartier’. Elle haussa les épaules en rosissant : « Oh, vous alors, vous avez toujours le mot pour rire. » J’aimais la taquiner, lui tourner le compliment pour la voir rosir. Son visage s’empourprait alors à son insu et l’on pouvait y lire à livre ouvert. Impossible pour elle de dissimuler, le rouge aux joues la trahissait. Malgré son entregent, sa gentillesse naturelle, elle tenait les hommes à distance, méfiante et assez futée pour les voir venir de loin. Ella la qualifiait ‘d’industrieuse’, une abeille qui sans relâche, butinait son quartier. Mine de rien, elle la briffait, lui apprenait à prendre du recul face aux difficultés et d’apaiser les relations avec sa mère.

J’eus du mal à cerner leurs relations, interrogeant sans insister, recoupant leurs propos, « vous êtes toujours dans mes jambes à poser des questions, m’apostrophait parfois Luana, allez plutôt chercher du charbon à la cave… », l’air fâché mais je n’étais pas dupe de son ton rogue et de ses gros yeux. Elle avait aussi l’art de changer de sujet et Olga me lançait de grands regards de chien battu en filant vers le fond de la cuisine.

Cependant Ella s’épanchait plus volontiers quand nous marchions pendant sa rééducation, jusqu’au parc Ferrand où elle pouvait faire des pauses sur les bancs distribués autour du jardin d’enfants. On discutait, on regardait les enfants jouer dans le bac à sable ou dans le labyrinthe tapissé de plaques de couleur. Appuyée sur une cane, elle levait son bras libre en soupirant : « Ah ! Sa mère, sa mère, toujours à la tracasser, comme si ça pouvait changer quelque chose ! Toujours à la sermonner, à lui seriner ses propres échecs, "Méfie-toi des hommes, ne te laisse pas embobiner, ils promettent… ils promettent…" ce qu’elle a pu l’entendre cette phrase Luana. »

Elle avait visiblement besoin de s’épancher, surtout sur moi qui prêtais une oreille favorable à son besoin et ces moments particuliers où nous étions tous deux en train de deviser tranquillement. « Elle lui serine toujours la même chose, continuant sur le même registre, « "Ah que j’étais sotte, ah si c’était à refaire, si je pouvais revenir en arrière, ne fais pas comme moi, ne fais surtout pas les mêmes erreurs…" Son obsession, c’était que sa fille se fasse ‘une place au soleil’, ce qui est louable mais agissait plutôt comme un repoussoir, Luana ne pouvant plus supporter ses jérémiades. »

Et pendant très longtemps, Luana fit ce rêve d’un soleil noir, se réveillant brutalement en sueur, fascinée par une sorte d’éblouissement magnétique, comme Meursault juste avant son meurtre, jusqu’au réveil brutal. Le jour, les mots de sa mère lui passaient ‘par-dessus la tête’, un bruit de fond qui la traversait sans apparemment laisser de traces, « ne dépend jamais d’un homme ma fille, ni d’un mari, ni d’un patron, ni de personne d’ailleurs, ne compte jamais que sur toi, tu m’entends… »

Luana ne répondait pas mais les mots devaient faire leur chemin, s’insinuant jusque dans ses rêves et Ella tentait de jouer les antidotes, glissant dans la conversation des contre-exemples, lui lisant ce qu’elle aimait, des passages d’une biographie d’Isabelle Eberhardt, la fascination qu’elle avait exercé sur le maréchal Lyautey qu’elle connut au Maroc : « Elle était ce qui m’attire le plus au monde : une réfractaire, écrivait le futur maréchal. Trouver quelqu’un qui est vraiment soi, qui est hors de tout préjugé… de tout cliché et qui passe à travers la vie, aussi libérée de tout que l’oiseau dans l’espace, quel régal ! J’aimais son prodigieux tempérament. » Belle profession de foi, commentait Ella, face aux grands yeux incrédules de Luana qui découvrait avec avidité cette vie pleines d’aventures.

Et Ella poussait alors ses pions, « quel exemple n’est-ce pas, autre chose qu’une star de mon acabit ma petite, quel destin pour ces pionnières qui partaient à l’aventure. Isabelle ne fut pas la seule d’ailleurs, d’autres femmes ont sillonné le Sahara à cette époque qu’on appelait ‘la Belle époque’, pour les privilégiés en tout cas. Si Isabelle Eberhardt mourut jeune, noyée dans sa maison de Aïn Sefra par la crue soudaine d’un oued, " la mort, je sais que son approche amène instantanément un détachement absolu, un renoncement définitif aux choses de ce monde" a-t-elle écrit dans son autobiographie, une femme comme Odette du Puigaudeau devint nonagénaire. »

Elle lui montra une photo d’Odette du Puigaudeau qui, dans les années trente, sillonna ‘le pays des sables’, la Mauritanie de la côte à Tagânt où elle pose, toute fière sur son chameau, regardant les touaregs qui, admiratifs, en connaisseurs de ces lieux si durs pour les hommes, la qualifient de ‘femme-marabout’ qui voyage comme un guerrier. Ella n’avait rien oublié de ce rôle inédit pour elle où elle jouait cette héroïne Isabelle Eberhardt au caractère bien trempé, qui lui avait demandé de s’investir dans le personnage contrairement à ses rôles précédents. « Un vrai  rôle » lui avait confié le metteur en scène et elle avait saisi dans sa dimension la plus concrète combien ce rôle allait compter dans sa carrière.

«  A ce jeu-là, que peuvent les stars ?  » commentait Ella, rêveuse. Même la grande Marilyn Monroë qui disait : « Je ne peux pas me retricoter un passé… Une maille à l’endroit quand ça m’arrange, une maille à l’envers quand ça me dérange. Je suis sûre d’avoir vécu bêtement l’existence d’une autre qui s’est laissée faire et refaire. " » Elle sembla réfléchir un moment… on rêver.  « Quoi dire de plus » bougonna-t-elle se levant en s’aidant de sa cane pour le trajet retour. Elle avait d’autres exemples dans ses souvenirs, tous aussi édifiants.  En longeant la rue du parc Ferrand, elle me prenait parfois le bras : « N’écoutez pas Olga, elle vit d’illusions, elle fantasme son histoire, ne retient que ce qui lui plaît. » La grande avenue se couvrait de larges feuilles des platanes que les cantonniers n’abondaient pas à ramasser. En cette saison, ils reprenaient chaque matin leur ronde de pelles et de balais, refaisant inlassablement les mêmes gestes. A dix heures, ils nous rejoignaient au ‘bar de l’avenue » pour le café traditionnel. Quand Olga venait, elles grattaient quelques tickets de loto, toutes excitées de cette bulle d’incertitude.

Je compris alors pourquoi elle aimait tant Luana et voulait absolument l’aider : elle se retrouvait en elle, revivait sa jeunesse, même banlieue, même genre de famille avec une mère qui baisse les bras, qui se lamente sur sa condition, un père peu présent, plutôt marginal, inadapté à ce monde précaire, petite vie étriquée et volonté farouche, de rêver à d’autres horizons. Luana, c’était elle quelque quarante ans auparavant. J’émis l’hypothèse mais elle écarta d’un geste ma prétention : « J’ai mon histoire, elle a la sienne, rien ne se reproduit tel quel. »

Je n’insistai pas. Pourtant, après ces demi-confidences faites par une belle journée qui peut-être y contribua, elle me réserva une grande surprise. Se levant lourdement, elle retira d’un tiroir de son buffet une grosse reliure débordant de documents. Puis chaussant ses lunettes sans un mot, elle choisit quelques feuillets qu’elle étala sur la table. D’abord la une d’un magazine qui, en surimpression d’une photo d’Ella, titrait : « La SUBLIME»  et vers le bas, en caractères plus petits,  « sa beauté lumineuse ». « Propos de journaliste », bougonna-t-elle.

Elle caressait la page de papier glacé d’un geste machinal, le visage durci et je sentais le désarroi percé dans son regard sans expression. Elle soupira et me tendit la photo suivante où elle rayonnait dans une superbe robe-fourreau en lamé moulant parfaitement son corps. « On ne peut s’imaginer ce qu’il faut de temps et de travail pour en arriver là. Si vous saviez ! Et encore, à l’époque aucune système de retouche d’images pour corriger les petites imperfections. » Puis ensuite, une image de son apogée : la brune type, la brune pulpeuse qui plaît aux producteurs qui pensent qu’une tête comme ça vaut tous les bons scénarios. D’autres titres, d’autres photos défilent sous mes yeux, Ella seule ou en compagnie d’autres vedettes connues encore aujourd’hui ou, comme elle, tombées dans l’oubli, témoins de sa splendeur d’alors, témoins d’un passé récent qui paraît pourtant si lointain … quelques tours de piste et on passe à autre chose, place à la génération suivante qui pousse déjà, impatiente. Une dernière photo dont l’odeur doucereuse évoque la contingence du succès, l’intérêt qui s’estompe dans la brume de l’habitude, le déclin et les feux de la rampe qui s’éteignent.

J’avais beau scruter son visage, je ne retrouvais rien de son expression d’alors, de ses traits juvéniles, rien de ses longs cheveux bruns légèrement ondulés qui tombaient en vagues sur ses épaules, ses lèvres finement ourlées qui s’ouvraient généreusement sur des dents éclatantes. Tout ce qui faisait son orgueil. Je revins plus tard une fois m’asseoir sur ce banc du parc Ferrand où nous avions devisé librement, même si elle écartait parfois d’un revers de main une question gênante. Elle avait évoqué ses débuts plutôt déshabillés dans des films publicitaires à petit budget où elle dévoilait autant ses charmes que son large sourire. « Il faut bien vivre n’est-ce pas » comme pour s’excuser de cette époque où elle aurait tout accepté pour se faire connaître. On le lui avait tellement seriné qu’elle ne pensait qu’à ça. Débuts modestes mais prometteurs. Et puis le coup de chance, « le coup de pouce du destin, la bonne rencontre au bon moment, il n’en faut pas plus et c’est ce qui m’est arrivé… et un petit pépin suffit aussi parfois à vous faire dégringoler de votre piédestal. C’est pour cette raison que j’ai souvent eu peur de ce succès inespéré qui pouvait finir comme il avait commencé. »

Le producteur Sergio Raymondi la remarqua par hasard dans une publicité. Coup de cœur, il lui proposa un rôle majeur dans une superproduction "Bacchanales romaines" avec en toile de fond, le règne de l’empereur Claude où elle interprétait successivement le rôle de ses deux épouses Messaline et Agrippine. Tout un programme. Scénario nul évidemment. Succès de scandale mais succès quand même, ce qui était sûrement le but poursuivi. Du jour au lendemain, on connaît son nom, on admire sa plastique dans les magazines, on écrit même parfois qu’elle a du talent. Elle prêta ensuite son corps aux aventures sulfureuses de Liane de Pougy et aux biographies revisitées de la comtesse du Barry et de Lucrèce Borgia. De temps en temps, un peu de brume dans les yeux, elle pensait avec nostalgie à un grand rôle au théâtre ou même à une belle héroïne de western. Raymondi lui répondait, évasif, « oui, oui, plus tard… on verra …  » et elle comprenait que ce serait à la Saint glin-glin. Elle se consolait en se disant qu’elle avait déjà eu une chance folle et qu’il ne fallait pas trop demander au destin.

L’année suivante, avec le soutien de Raymondi, elle décrocha le rôle vedette dans "Descente aux enfers", une sombre histoire d’amis qui se battent pour l’amour d’une femme de rencontre, Ella bien sûr, qui jouait de ses charmes, les manipulait sans vergogne, jeu dangereux qui finit par un drame. C’est lors de ce tournage qu’elle connut le jeune premier alors en vogue Georges Ghika qui chavirait le cœur des midinettes et lui ravit le sien. « Quel choc ce fut pour moi, m’avoua Ella, quand je l’aperçus sur le plateau, souriant et décontracté, objet de tous les regards. A peine me vit-il alors, sollicité de tous côtés. Présentations fugaces de Sergio, je ne pus articuler un mot, impressionnée par son sourire ravageur et une décontraction si naturelle qui n’appartient qu’à lui. »

Dès lors, elle connut les plus belles années de sa vie, « cinq ans, je n’ai vraiment vécu que cinq ans dans ma vie, mais je les ai vécues pleinement. Après … » Après, ce n’est pas elle qui m’en parla mais toutes ces photos, tous ces magazines me donnèrent une idée. Adulée comme elle l’était à sa grande époque, il devait bien exister des documents qui évoquent, qui relatent sa vie et les événements douloureux qu’elle vécut alors.

Effectivement, mes recherches furent simples, après cinq d’une carrière sans ombre, le drame s’abattit brutalement sur son destin. Comme souvent, elle fit les gros titres des magazines mais avec une photo terrible que même maintenant, elle refuse de voir : celle d’une voiture amas de tôles tordus au fond d’un ravin. Le beau conte de fée prit fin ainsi, parmi des roches à fleur d’eau au bord d’un torrent. Georges Ghika mourut dans l’accident et ce fut pour elle un nouveau choc d’apprendre sa mort quelques jours plus tard.

Elle, après plusieurs jours de coma, survécut, mais dans quel état. Fractures multiples, corps ravagé, mutilé par de nombreuses opérations, une femme tétanisée, sans ressort. E un certain sens, morte aussi.

 Les journaux à sensation diffusèrent quelques photos d’Emma où, malgré le maquillage, l’on distinguait les traces de l’accident et un fond de détresse dans son regard. Elle suivit l’enterrement de Georges Ghika à la télé, dans les magazines, clouée sur son lit d’hôpital. Son corps meurtri, son principal atout, devenait subitement un handicap d’autant plus inquiétant que, impotente pendant des mois et dépressive, elle avait beaucoup grossi et ne se supportait plus. Rançon d’une gloire précaire, son nom disparut des magazines,  dissoute, rejoignant le cortège des stars déchues.

Elle connue le parcours du combattant des mutilés, opérations, hôpital, opération, hôpital, rééducation, convalescence, une longue bataille contre ce corps qui refuse d’obéir. Après, elle n’était plus rien, on n’entendit plus parler d’elle ; elle était redevenue transparente après ces années où ses fans l’adulaient, attendaient des heures pour un sourire ou un autographe. Moi-même, malgré de longues recherches, je ne sus jamais ce qu’elle advint pendant les années suivantes et comment elle échoua dans ce quartier d’une lointaine banlieue. Oubliée, anonyme parmi la foule, avec les souvenirs qui la hantaient.

A force d’être oubliée, elle s’était oubliée au point de n’être plus rattachée à ce passé que par une valise de souvenirs qu’elle n’ouvrait jamais, boîte de Pandore qu’elle redoutait mais dont elle n’aurait à aucun prix voulu se séparer. Même si seulement la regarder lui faisait mal. Une valise que cependant elle ouvrit pour Olga et pour moi… une seule fois. Cette partie de sa vie, c’est sa part d’ombre, un voile de mystère qu’elle gardera sans doute pour toujours, jalousement.

Elle put bientôt abandonner ses béquilles et reprit sa vie ‘comme avant’, avec les promenades dans le quartier, ses visites à la chapelle de l’église Notre-Dame où elle aimait à aller se recueillir. « ‘Comme avant’, ça n’existe pas, me rétorqua-t-elle en haussant les épaules, comment croire que tout pourrait continuer comme ça, normalement, après une rupture ; non, ce n’est jamais comme avant, j’en sais quelque chose ! » Elle se plaignait souvent de douleurs à la cheville dont rien ne la soulageait, pas même les massages.

Malgré tout, elle rendait maintenant visite à Olga dont la vue déclinante faisait qu’elle ne sortait plus guère de chez elle. Luana la remplaçait souvent au marcher pour tenir son modeste étal et vendre ses assortiments de pommes. Une Luana radieuse de cette promotion inattendue, rangeant ses robes extravagantes pour un jean et  un gros pull mieux adaptés à sa nouvelle activité. Ella m’évitait maintenant – peut-être regrettait-elle ses confidences- et bougonnait sur leur sort peu enviable, Olga et sa vue déclinante, elle et sa cheville toujours douloureuse, « et Olga, hein, quand est-ce qu’elle sera ‘comme avant’ ? Injustices insupportables qui ont le don de me mettre en rogne. »

 Et puis un jour, peu après l’hospitalisation d’Olga, elle disparut. Nul ne la revit jamais dans le quartier. J’ai craint un temps qu’il ne lui fût advenu malheur mais elle avait résilié son bail et déménagé. Départ mûrement réfléchi. Je lui en voulus pendant longtemps de cette trahison, cette volonté de rupture qui niait notre amitié. Mais sa vie n’avait-elle pas été faite de ruptures.

Nous aussi sommes partis peu de temps après, moi très loin d’ici pour une rupture totale, besoin de repartir sur de nouvelles bases, besoin de rompe à mon tour avec Ella, de nier  notre relation, comme elle l’avait fait, Olga plus près d’ici dans une maison de retraite, très affaiblie. Luana continue de vendre ses pommes au marché, par tous les temps et avec sa bonne humeur habituelle. Je me souvenais des mots d’Ella empruntés à Isabelle Eberhardt : « Il ne s’agit pas de vivre mais de partir. »

Ella a rejoint un autre ailleurs, un nouvel anonymat. Si par miracle un jour vous la voyez passer, vous la reconnaîtrez sans doute avec son sacré fichu gris négligemment noué et son cabas fatigué à carreaux rouges et verts. Si vous la voyez, faites lui un petit signe d’amitié, le plus discret possible pour ne pas l’effaroucher, et laissez-la simplement marcher vers son destin.

Un jour, peu de temps après la fin de sa convalescence, Ella disparut. Personne, pas même les commerçants du quartier, ne put me dire ce qu’elle était devenue. Sans doute affolée par les pans de sa vie qu’elle avait peu à peu dévoilée, elle s’était sans doute réfugiée dans un autre anonymat. Olga fut tétanisée par le départ subit de son amie, mortifiée qu’elle ne l’eût pas avertie. Jouait-elle la comédie avec moi, était-elle quand même dans la confidence… non, j’en acquis la certitude quand je vis vraiment dans ses yeux son désarroi, la distance qu’elle mettait dans nos rapports, ce chagrin qu’elle ne pouvait pas exprimer autrement. Sa vue déjà déficiente, baissa encore et elle se replia chez elle, refusant même de m’ouvrir.

Je ne sus si elle était vraiment malade ou si elle se laissait désormais aller, sans repères, sans avenir, perdue dans son univers qui rétrécissait de jour en jour.  Apparemment fatiguée de vivre. Vexé par son attitude, je résolus de mettre de la distance dans nos relations et de prendre le large quelque temps.

L’année suivante, je trouvai dans ma boîte aux lettres ce simple papier sur lequel elle avait tracé ces mots d’Isabelle Eberhardt : « Il ne s’agit pas de vivre mais de partir. »

Si vous la voyez passer d’un pas fatigué, vous la reconnaîtrez avec son fichu gris négligemment noué et son cabas à carreaux rouges et verts. Si vous la voyez passer, faites-lui un petit signe d’amitié discret pour ne pas l’effaroucher, regardez-la simplement marcher vers son destin. Elle en a déjà parcouru la majeure partie.

Notes et références

[1] Isabelle Eberhardt, "Mes journaliers", éditions de La Connaissance
[2] Odette du Puigaudreau, "Pieds nus à travers la Mauritanie", édition Plon

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